Cela a longtemps été un gros mot. Jusqu’à ce qu’un personnage dont la grossièreté est la marque de fabrique le prononce: la paix. Auparavant on s’indignait – russophilie! – ou on riait – naïveté! – quand le pape l’utilisait. On tremble et on s’agite à présent qu’il est sorti de la bouche de Donald Trump. Que ce soit lui qui impose le rythme n’étonne pas. En ce temps où la qualité des leaders politiques laisse globalement à désirer, c’est presque toujours celui qui parle le plus fort qui se distingue – ainsi progresse l’extrême-droite, comme dimanche dernier en Allemagne.
La paix a déboulé dans l’agenda international comme un chien dans un jeu de quilles et on la craint. On redoute que la paix en Ukraine ne soit pas bonne. A raison: elle ne le sera pas. Tout simplement parce que personne n’en envisageait une. Il y a là beaucoup à dire sur l’attitude des Européens qui ont joué un mauvais jeu depuis le 24 février 2022, étant tout à la fois trop va-t-en-guerre et pas assez. Ni leur diplomatie ni leurs armes n’ont cherché à hâter la paix; ils ont choisi un entre-deux mortifère, entravant le dialogue par leurs sanctions, entravant la lutte ukrainienne avec leurs armes à portée limitée.
Il n’y aura pas de bonne paix à l’Est. Une paix n’est jamais complètement bonne, mais celle-ci le sera encore moins parce qu’elle viendra des dizaines de milliers de morts trop tard. Des civils et des militaires, des Ukrainiens, des Russes et des Nord-Coréens qui, comme le Ludovic des Cerfs-volants de Gary, n’avaient «pas tellement envie» de mourir ou qui, comme le Bardamu du Voyage au bout de la nuit, se demandent si ceux qui les soutiennent de loin chercheront à connaître leur nom.
«Il n’y a que la vie qui compte!», s’exclame le personnage de Céline qui assume sa lâcheté. On s’est assez peu préoccupé de la vie dans les chancelleries européennes où l’on a fait les choses à moitié. Où l’on s’indigne aujourd’hui que la paix puisse se faire sans elles, et accessoirement sans l’Ukraine. Mais il faut bien admettre, après trois ans de combats, que l’Ukraine n’a jamais vraiment compté pour l’Occident dans sa guerre par procuration contre la Russie.