Nous ne songeons pas tous les jours à la guerre, et c’est très bien ainsi. Nous avons nos propres soucis, bien légitimes dans notre hic et nunc, notre ici et maintenant, et il n’y a pas de raison de nous confronter chaque jour à l’horreur. Car la guerre est une horreur. En Ukraine et en Palestine, mais aussi au Congo, et depuis trente ans.
«Nous sommes désorientés, nous ne nous inscrivons plus dans une temporalité», nous écrit un correspondant établi dans le Sud-Kivu dont les rebelles ont récemment pris les villes principales. Qu’est-ce qu’une existence hors du temps, sans repères lorsque la peur remplace tout sentiment? «Il n’y a plus de vie. Nous sommes en mode survie», confie cette personne dont nous ne pouvons rien dire, craignant jusqu’ici pour sa sécurité. Certaines écoles restent closes, les magasins ferment plus tôt. «Les banques ne fonctionnent pas. Les prix des produits de première nécessité ont flambé.» Même le montant des rançons demandées sur les routes a augmenté! Et «à chaque barrière érigée il y a un tas de bâtons pour tabasser ceux qui penseraient autrement».
Sont-ce là les réalités de la guerre? Seulement quelques-unes, et des moindres. Notre correspondant évoque les viols, les vols et les pillages commis par l’armée régulière avant l’arrivée des rebelles qui répètent les mêmes exactions. Ces rebelles n’ont pas de prison, disent-ils, ce qui signifie que «la mort a remplacé le milieu carcéral». La mort est banalisée au point que «la population observe impuissamment les personnes mourir comme des insectes». C’est cela, la guerre: «La volonté de détruire, d’humilier, bref de piétiner l’humain».
On nous écrit du Sud-Kivu des choses que nous ne souhaiterions pas lire, parce que nous préférerions qu’elles n’existent pas ou ne rien en savoir. Parce que nous ne voulons pas songer tous les jours à la guerre, ce qui est légitime. Mais nous pourrions de temps à autre faire une place à ses victimes dans nos prières. Tâchons d’espérer pour ceux qui, dans ce «véritable enfer sur terre», ont peut-être laissé toute espérance.