Les anciens Russes comptaient leur patrimoine immobilier en âmes. C’était cela qu’ils possédaient, pas des terres ou des villages. Ce qui permit au Tchitchikov de Gogol, entre deux recensements, d’acquérir administrativement des morts (d’où le titre de ce monument littéraire inachevé: Les âmes mortes) pour se constituer une fortune factice. On ne compte plus ainsi aujourd’hui. Et c’est tant mieux: les hommes sont libres. Et c’est tant pis: ils sont invisibles.

Au jour de l’Assomption, Vladimir Poutine et Donald Trump parleront de kilomètres carrés – accessoirement d’argent, de matières premières et d’armes. Ils ne se soucieront pas de ceux qui vivent sur les terres que l’un convoite et que l’autre est d’autant plus prêt à brader qu’elles ne lui sont pas confiées. De même, le sort des Gazaouis intéresse assez peu le président américain; dans le dossier de cette bande sans arrêt en urgence, il se révèle plus promoteur immobilier que promoteur de paix. Qu’il y ait des êtres humains sur ces parcelles est secondaire.

Et cela ne semble pas l’être que pour ces personnages dont la bonhomie et la bienveillance ne brillent que par leur absence. Lorsqu’on anticipe la reconstruction, c’est au bâti qu’on s’intéresse. Qu’on envisage de douteusement confisquer des avoirs ou de prélever sur l’obole d’autres malheureux, l’Occident voit surtout des opportunités pour ses propres entreprises. Des immeubles à la place des ruines. En ignorant que l’esprit d’un homme, d’une femme ou d’un enfant aussi peut être une ruine.

Une guerre n’est jamais finie tant qu’elle hante encore les pensées de ceux qui l’ont vécue. Et Dieu seul sait combien de temps un traumatisme perdure après la signature d’un accord de paix. Réparer des bâtiments est une chose, importante, mais il sera indispensable de réparer les survivants, tâche malaisée s’il en est (lire en pages 4 à 7). Il ne faudra pas l’oublier lorsqu’enfin les armes se seront tues en Ukraine, au Proche-Orient et dans tant d’autres endroits du monde. La paix a une âme, contrairement à la guerre. Et si elle la perd, tout est perdu, fors la perspective d’une nouvelle guerre.