Votre magazine a 95 ans! Paru pour la première fois le 18 janvier 1930, il s’est rapidement fait une place dans le paysage médiatique romand. Défenseur de la morale, étendard malgré lui des intérêts de la presse régionale, il ne peut être réduit à une ligne conservatrice. Graphiquement, il était à l’avant-garde en son temps.
1938. L’Europe est intranquille, la presse romande aussi. Mais pas pour des raisons géopolitiques. Dans une atmosphère de défense spirituelle de la patrie, le jeune Echo Illustré, lancé il y a tout juste huit ans, lance une attaque qui sera prise comme une déclaration de guerre. «Pourrisoir!»: le mot barre la page 6 de son édition du 26 février. L’insulte, car c’en est une, vise le magazine français Paris-Soir, qui disparaîtra en 1944.
L’article publié n’est pas signé de la main d’un journaliste de l’hebdomadaire, mais de celle de l’abbé Henri Schaller. Il l’a publié deux ans plus tôt dans Le Pays, à Porrentruy, pour dénoncer la «corruption la plus subtile» qui envahit l’âme des catholiques lisant «avec régularité et complaisance des… journaux et revues pour lesquels ce serait déjà un honneur immérité que de servir à envelopper des vieux chiffons». Le ton est donné, Paris-Soir est cité, et L’Echo Illustré en rajoute une couche en présentant l’article. «Les ‘sales canards’ continuent de prospérer chez nous: on aimerait bien leur tordre le cou et leur couper les ailes. Puissent ces lignes y contribuer», lit-on sous une photo illustrant la «fascination du papier imprimé».
Rien ne se passe dans l’immédiat. Mais, en octobre, le quotidien parisien attaque en justice l’abbé Chavannes, directeur de L’Echo Illustré, et l’imprimeur, et réclame 50’000 francs de dommages et intérêts. Cette «campagne de diffamation», estime-t-il, a entraîné une diminution des ventes.
Pour le professeur émérite de l’Université de Fribourg Alain Clavien, la baisse des ventes de Paris-Soir en Suisse romande explique vraisemblablement cette réaction tardive. Et si ses responsables s’en prennent à L’Echo Illustré plutôt qu’au Pays, c’est qu’ils n’avaient sans doute jamais entendu parler du journal jurassien tandis que L’Echo Illustré compte déjà quelque 20’000 abonnés, et davantage de lecteurs, dans toute la Suisse romande.
Une issue prévisible

Le procès qui s’annonce, et qui aura lieu à l’été 1939, a des airs de combat de David contre Goliath, le géant étant français. Pourtant, l’affaire est pour lui perdue d’avance, assure l’historien: «Avant même la tenue du procès, on pouvait parier sur l’échec de Paris-Soir, par ailleurs mal conseillé par ses avocats. A cette époque, en Suisse romande, l’esprit est à la défense nationale et spirituelle. Depuis la fin du 19e siècle et jusqu’aux années 1960, il y a une opposition à la presse venue de France, jugée immorale».
Les milieux catholiques soutiennent leur hebdomadaire, qui reçoit aussi l’appui des associations de journalistes genevoise, vaudoise et valaisanne. Les journaux politiques, majoritaires à cette époque, se rangent également derrière L’Echo. «L’affaire cristallise une peur ressentie depuis longtemps. Il y a aussi un peu de xénophobie là-dedans et beaucoup de mécontentement face à une concurrence qu’on ne peut pas empêcher dans un pays libéral, mais qu’on juge déloyale parce que ces journaux français utilisent des méthodes que la presse suisse n’utilise pas».
Mauvaise foi? Ou est-il juste de critiquer une collaboration à la dissolution des familles? La mystification et le plagiat reproché par L’Echo Illustré étaient-ils bien réels? «La morale est une bonne manière de s’opposer aux journaux français, relève Alain Clavien. Mais Paris-Soir a reconnu avoir inventé des faits divers, y compris lors du procès.» Que L’Echo Illustré gagnera. Pour fêter cela, il publiera à nouveau l’article incriminé.
Le bras armé de l’Eglise
En 1939, le jeune hebdomadaire s’est donc fait une place et un nom dans le paysage médiatique romand. En neuf ans seulement. Il faut dire qu’il a été accueilli avec bienveillance par certains quotidiens qui avaient distribué le numéro spécimen de 1929. Etaient ainsi remerciés dans le premier numéro en 1930, pour leur aide fraternelle, Le Pays, Le Nouvelliste Valaisan, Le Courrier de Genève, L’Echo Vaudois et La Liberté qui publiera chaque semaine, pendant un certain temps, le sommaire de L’Echo Illustré. Tous des titres catholiques.
«L’Eglise des années 1930 se trouvait dans la position de la forteresse assiégée. Ce qui était assez objectif, des évêques avaient été chassés, en Suisse aussi, et il y avait une guerre ouverte entre la culture libérale et l’Eglise. D’autres magazines illustrés apparaissaient, et l’Eglise devait être présente sur ce terrain également», rappelle Patrice Favre, rédacteur en chef du journal trois quarts de siècle plus tard (lire en page 42). De fait, l’Eglise est à la manœuvre et l’impulsion vient de Marius Besson, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. «L’Echo Illustré est son bébé. Il le suivra de près», signale Alain Clavien.
Hors de question de laisser toute la place à L’Illustré et à L’Abeille, autres hebdomadaires romands, mais protestants – «Cela suffisait peut-être à être immoral à ses yeux», s’amuse l’historien. Toujours est-il que Mgr Besson surveille son magazine et le maintient dans une ligne conservatrice.
Mais l’évêque ne l’emporte pas toujours: «Il a voulu interdire la publicité pour le tabac et les boissons alcooliques, sans succès. Ce sont des rentrées financières qui comptent et le cigarettier Burrus est un mécène. Il ne faut pas exagérer».
L’âge d’or des années 1960

Sous son épiscopat, on peut qualifier L’Echo Illustré de bras armé de l’Eglise en raison de «ses contenus sur la famille, sa façon de voir la vie de l’Eglise et la vie conjugale et ses critiques régulières contre la presse immorale». Les choses changent un peu en 1945 avec l’arrivée de Mgr François Charrière à la tête du diocèse. Le magazine l’intéresse un peu moins, selon Alain Clavien, et il s’en décharge auprès de Pierre Mamie, son évêque auxiliaire, qui montre davantage d’intérêt pour la revue.
Le journal trouve ses lecteurs – 5000 abonnés en 1930, le double deux ans plus tard – et connaît son âge d’or dans les années 1960: il compte alors 40’000 abonnés. C’est à cette époque, et dans les années 1970, que la ligne de L’Echo Illustré s’adoucit. «On demeure strict sur l’avortement et le divorce, mais on s’ouvre. Les critiques contre la presse immorale s’atténuent, on considère davantage les protestants, on accepte que les femmes puissent travailler à l’extérieur», résume Alain Clavien qui y voit l’influence de Vatican II. Les jeunes se font une place dans la société et dans les pages de l’hebdomadaire qui leur consacre une rubrique chaque semaine. Elle évoque «certains problèmes comme la vie amoureuse. Les histoires de divorce et de filles-mères inquiètent beaucoup le journal, tout comme les relations sexuelles avant le mariage».
Quelques dates
18 janvier 1930
Parution du premier numéro de L’Echo Illustré.
1985
Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg quitte le conseil d’administration.
1996
L’Echo Illustré achève sa mue progressive du sépia vers la quadrichromie.
1997
Le journal devient l’Echo Magazine.
2025
L’Echo Magazine adopte un rythme bimensuel.
Novateur sur la forme
Au début des années 1970, une femme est à la tête de L’Echo Illustré, magazine qui «aide ses lecteurs à juger les problèmes d’actualité»: Andrée Taberlet. Elle joue un rôle non négligeable dans la vie du journal depuis sa création. Mais il faut, pour le comprendre, dire deux mots du contexte dans lequel sont apparus les hebdomadaires illustrés.

Ceux-ci se développent après la Première Guerre mondiale. Pendant le conflit, des revues publient de nombreuses photos auxquelles les lecteurs s’habituent. Ils veulent en voir. Mais les quotidiens n’en offrent que peu, voire pas, l’absence d’image étant un gage de sérieux. «La Gazette de Lausanne, Le Journal de Genève et la Neue Zürcher Zeitung ne s’y mettront que très tard, indique l’historien spécialiste de la presse. Dans les années 1930, ce sont surtout les hebdomadaires qui publient des photographies et L’Echo Illustré est à la pointe à ce moment-là.»
S’il fait figure de pionnier, ce n’est pas uniquement dû à la grande place attribuée aux photos, mais aussi à la façon dont celles-ci sont mises en page. «Andrée Taberlet est une graphiste très inventive. Elle réalise des montages extraordinaires», s’enthousiasme Alain Clavien. Il cite une couverture de mars 1936 qui présente, au premier plan en diagonale, des membres du parti national-socialiste défilant avec des drapeaux; à droite au-dessus d’eux, bien plus grand, Adolf Hitler en buste pliant le coude; et, à gauche, un dessin représentant un manuscrit, le traité de Versailles, déchiré et transpercé par une croix gammée. «On trouve de telles choses dans des journaux allemands, mais pas ici», commente l’historien qui évoque encore une double page consacrée aux caméramen, ces «chasseurs d’images», en 1938: les photos sont insérées dans une pellicule de film. «C’est extrêmement moderne, jamais on ne verrait ça dans L’Illustré ou L’Abeille!»
L’Echo Illustré a ainsi incarné un paradoxe dans ses jeunes années sépia, sourit Alain Clavien: être «conservateur au niveau du contenu, mais très moderne au niveau formel».
Un collaborateur de luxe
Saviez-vous que L’Echo Illustré avait publié les aventures de Tintin? Prenez cette question sur le ton de la plaisanterie, car il est bien sûr que vous le savez. Impossible de parler de l’histoire de l’Echo sans qu’il y soit fait référence. «L’Echo était fait avec du génie: ils ont trouvé Hergé et Tintin», rappelle Patrice Favre. «Plusieurs personnes ont confié qu’elles ne lisaient pas l’édito de René Leyvraz, mais Tintin», rapporte Alain Clavien. L’attractivité de la bande dessinée jusqu’en 1983 est énorme; un ancien livreur de L’Echo Illustré se souvient avoir eu, grâce à cette activité d’enfance, la chance de lire les aventures du reporter avant ses camarades.

Grand tintinophile, Bernard Dupont connaît bien l’histoire d’Hergé et de l’Echo: «Beaucoup de mes collègues peuvent raconter des choses, mais j’ai eu une autre vision grâce à mon père». Son père, Jean Dupont, a été rédacteur en chef de L’Echo Illustré de 1947 à sa mort en 1970. «Nous recevions des cartes de vœux d’Hergé à la maison. Il est même venu chez nous. Je m’en souviens encore même si j’étais tout petit.» Le journaliste et l’auteur s’écrivaient régulièrement. Si certaines lettres commencent par l’adresse «Cher ami», les affaires sont au cœur de leurs échanges. Tintin apparaît également hors des cases pour présenter ses vœux aux lecteurs ou affirmer que L’Echo Illustré est le seul magazine romand à pouvoir prétendre au titre de revue catholique. La collaboration fera le succès de L’Echo Illustré et contribuera aussi à celui d’Hergé qui exprimera sa reconnaissance dans L’Affaire Tournesol: achetant des journaux en arrivant à Genève, le capitaine Haddock ne pouvait manquer d’opter aussi pour votre magazine préféré.