Le don d’ovules pourrait être autorisé en Suisse. Le Conseil fédéral présentera un projet de loi d’ici la fin de l’année prochaine pour garantir une égalité de traitement et les droits de l’enfant. Mais la façon d’envisager la famille est aussi en jeu, relève une spécialiste.
Selon les chiffres communément avancés, lorsqu’un couple ne parvient pas à avoir d’enfant de manière naturelle, le problème d’infertilité se situe dans 30% des cas chez l’homme. Le don de sperme, réglementé en Suisse depuis 2001, permet alors d’essayer d’y remédier – 300 enfants naîtraient ainsi chaque année dans notre pays. Dans 30% des cas, l’infertilité touche la femme et dans 30% les deux membres du couple (l’infertilité reste inexpliquée dans les 10% restants); le don d’ovules étant interdit, rien ne peut être entrepris pour aide ces couples.
Un cadre plus protecteur

«Ce cadre restrictif entraîne un tourisme procréatif: les couples suisses se rendent par exemple en Espagne et en Tchéquie», commente Anaïs Hauser qui a consacré sa thèse de doctorat en droit à la procréation féminine. C’est ce que le Conseil fédéral cherche à éviter en proposant de modifier la loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) afin d’autoriser le don d’ovules. L’avocate, chercheuse à l’Université de Neuchâtel, s’en réjouit, car cela permettra «de garantir un cadre éthique conforme à «Il y a une inégalité entre hommes infertiles et femmes infertiles.» nos valeurs et à notre droit». Le projet devrait permettre à l’enfant, comme en cas de don de sperme, de connaître l’identité du donneur, ce qui n’est pas toujours possible à l’étranger.
«Il y a toujours un décalage entre la réalité du droit et les réalités familiales», constate la sociologue Gaëlle Aeby, professeure à la HES-SO Valais. Elle voit ainsi d’un bon œil la volonté politique de «donner un cadre à des pratiques qui existent hors du pays et font planer une incertitude juridique sur les familles qui y recourent».
Si le bien de l’enfant a été expressément mentionné par le Conseil fédéral fin janvier, c’est une «inégalité de traitement inacceptable», selon le mot d’une commission parlementaire en 2021, qui est à l’origine du projet. «Il y a une inégalité entre hommes infertiles et femmes infertiles et des inégalités de classe sociale: il faut avoir les moyens de voyager pour accéder aux traitements», relève Gaëlle Aeby.
«Il y a une inégalité
entre hommes infertiles
et femmes infertiles.»
-Gaëlle Aeby
Pour Anaïs Hauser, il s’agit en sus de permettre aux femmes «de planifier différemment leur carrière et leur vie privée en ayant une solution médicale». Se consacrant plus souvent à leur carrière ou à leurs études, les Suissesses songent à fonder une famille plus tard, donnant naissance à leur premier enfant à 31,2 ans en moyenne (chiffre de 2022); or, la fertilité diminue à partir de 30 ans.
En France, où le don d’ovules est autorisé, l’agence de biomédecine enregistrait en 2022 moins de mille candidates donneuses pour 2077 demandes en attente – dans la très grande majorité (89,1%) des couples hétérosexuels. Le don y est anonyme, ce qui ne devrait pas être le cas en Suisse, et gratuit – le Conseil fédéral est toutefois prêt à accepter une indemnisation. Anaïs Hauser peut imaginer que certaines femmes conservant leurs ovocytes, ce qui est autorisé, puissent les donner «une fois le délai légal de conservation passé ou si elles ne remplissent pas les critères d’accès à la PMA au moment où elles souhaitent y recourir». Actuellement, dans de tels cas, les ovules sont détruits.
Un droit extensible?
Si le don d’ovules n’est pas autorisé alors que le don de sperme l’est, c’est peut-être parce qu’il paraît bien moins anodin. «Il nécessite un traitement hormonal contraignant avec des piqûres quotidiennes et une ponction sous anesthésie», confirme Anaïs Hauser. Mais l’argument n’est pas valable, ajoute l’avocate, car le don d’organes nécessite également une intervention lourde. Et il est autorisé.
Gaëlle Aeby explique aussi cette différence par la conception de la filiation: «Dans le droit suisse, la personne qui donne naissance est la mère; la filiation juridique et la filiation génétique coïncident. Et la filiation génétique avec le père marié est présumée». La sociologue parle de tension autour de ces questions de liens familiaux que l’on considère plutôt, dans son domaine, sous l’angle de la vie commune, des interactions et des pratiques. «Faire famille ne dépend pas de la génétique», juge la scientifique.
L’autorisation du don d’ovules bousculerait un peu plus encore la perception de la filiation. D’autant plus que le projet de révision de la loi devrait offrir l’accès à la PMA aux couples non mariés. L’initiative est bienvenue pour la sociologue qui voit un risque pour l’enfant ainsi conçu à l’étranger – «En cas de décès du parent reconnu, il pourrait se retrouver officiellement sans parent alors qu’il en a pourtant un deuxième».
Le débat sera sensible. Si le projet de loi devait mettre sur un même plan les couples mariés et non mariés, les couples d’hommes resteraient discriminés, la gestation pour autrui (GPA) demeurant interdite en Suisse. Pour beaucoup, le recours à une mère porteuse reste néanmoins une limite à ne pas franchir – notamment pour les évêques suisses, de manière générale opposés à la PMA, mais aussi pour une partie de la gauche. «Je ne pense pas que cela viendra automatiquement après le don d’ovules, car le sujet est plus complexe avec la question des droits de la femme porteuse», souligne Gaëlle Aeby.