Au mitan de l’année, déjà dix-neuf hommes ont tué leur épouse, conjointe ou ex-compagne en Suisse. Dix-neuf fois s’est affiché partout le mot féminicide. Peut-être pas sans arrière-pensée: ajoutant de l’horreur à l’horreur, il est aussi aguicheur qu’autrefois le «drame passionnel», union faussement romantique d’Eros et de Thanatos.
Le mot ne paraît pas opportun. Tel que le définit ONU Femmes, le féminicide est un homicide volontaire «dont le mobile est lié au sexe de la victime». On semble en Suisse confondre le motif et une circonstance. Ces femmes ont-elles été tuées parce qu’elles sont des femmes ou parce que des hommes à l’esprit vicié les considéraient comme leur propriété? Définir ce mot est d’autant plus important que certains veulent l’inscrire dans le code pénal. Ce qui semble inutile en raison du défaut mentionné et parce que l’assassinat – un meurtre particulièrement odieux, ce qui paraît correspondre – est déjà plus sévèrement puni.
Insister sur le terme féminicide est philosophiquement problématique. Alors que les totalitarismes du siècle passé clamaient que certaines vies valaient moins que d’autres, il donne plus de valeur à la vie d’une femme qu’à celle d’un homme. Nous ne pouvons souscrire à une inégale dignité des êtres humains en raison de leur sexe, ni socialement ni pénalement. Faudrait-il considérer qu’un homme qui assassine son mari se rend coupable d’un crime moins grave que celui qui tue son épouse?
L’expression «drame familial» a perdu de sa force. Or, l’horreur vient aussi du fait que ces homicides sont perpétrés dans l’espace social qui devrait être le plus sûr. Ne serait-il pas plus opportun de durcir les peines infligées aux auteurs de violences psychiques ou physiques dans une relation de couple (actuelle ou passée) ou familiale? Cela respecterait l’égale dignité de toutes les victimes et permettrait peut-être de les protéger avant une issue fatale. Le combat contre les violences révoltantes faites aux femmes est juste, mais il doit être plus généreux, pour ne pas écrire universel. Et aller plus loin qu’une question trompeuse de vocabulaire. Parce que les mots sont parfois l’ennemi du bien.