Léon XIII l’a créé cardinal, Léon XIV en a fait un docteur de l’Eglise après que Benoît et François l’ont béatifié puis canonisé. Le 1er novembre, le pape a nommé John Henry Newman (1801-1890) docteur de l’Eglise. L’Anglais est désormais, avec saint Thomas d’Aquin, le patron de ceux qui participent au processus éducatif.

Le 13 octobre 2019, les Romands n’avaient d’yeux que pour Marguerite Bays. La couturière de Siviriez (FR) figurait tout à droite sur la façade de la basilique Saint-Pierre à Rome, au bout de l’alignement des portraits de cinq nouveaux saints dont trois religieuses. Au centre se trouvait le seul homme: John Henry Newman, promu docteur de l’Eglise par Léon XIV le jour de la Toussaint. «Le contraste est immense avec Marguerite Bays, mais Newman a connu la pauvreté et s’est tenu auprès des pauvres», précise Grégory Solari. Chargé de cours à la faculté de théologie de Fribourg, le Genevois connaît bien la vie de l’Anglais dont il publie en français les œuvres aux éditions Ad Solem et à la pensée duquel il a consacré une thèse publiée en 2021.

John Henry Newman a d’abord été un penseur anglican avant de devenir catholique. Bridgeman Images

Né à Londres en 1801, John Henry Newman est anglican, pasteur et tuteur à l’Université d’Oxford. «Quand ils le voient passer dans la rue, les jeunes étudiants s’exclament: ‘Regarde, c’est Newman’», raconte Grégory Solari. Pour donner une idée de ce que le pasteur perd lorsqu’il se met en retrait de l’université et de son Eglise après avoir défendu que le Credo anglican ne s’opposait pas à la doctrine catholique et après avoir longtemps critiqué un haut clergé intéressé par l’argent et coupé du peuple.

Cinq ans plus tard, en 1845, il entre en pleine communion dans l’Eglise catholique, «un passage qui est moins un changement qu’une maturation spirituelle». John Henry Newman rejoint les oratoriens, une communauté de prêtres conjuguant culture, prière et attention aux pauvres. Entre Londres et Birmingham, il opte pour la seconde, «une ville pauvre, industrielle, où se sont installés beaucoup d’immigrés irlandais». Il secourt les miséreux, rédige des lettres pour qu’ils obtiennent un travail ou un logement, fonde une école. Il connaît lui-même la pauvreté dans les années 1860, lorsqu’un article sur le rôle des baptisés dans l’Eglise lui vaut presque une condamnation. «Mis au ban de l’Eglise, il perd ses ressources financières.» Il est loin des honneurs qu’il connaîtra à sa mort lorsque le Times, journal de l’establishment, titrera en une que «le grand homme est mort».

Un précurseur

En 1879, Léon XIII le crée cardinal, montrant ainsi que sa voie est la bonne: la vie et le mouvement plutôt que le formalisme des conservateurs. L’intellectuel anglais, qui a laissé une œuvre abondante, craint un repli de l’Eglise face à un monde qui change. «L’Eglise ne se limite pas aux pasteurs. C’est un peuple qui vit de son Seigneur. Voilà pourquoi les fidèles doivent être formés et consultés», développe Grégory Solari. Le nouveau docteur de l’Eglise fait ainsi figure de précurseur de la synodalité, ajoute-t-il en soulignant qu’il est cité dans les travaux de préparation du synode lancé par feu le pape François.

Grégory Solari a été ordonné diacre permanent en juin de cette année. JeF

Son influence s’est également fait sentir au siècle suivant durant le concile de Vatican II. L’Anglais souligne que le «sens de la foi», qui habilite les baptisés à discerner et à se prononcer sur des questions de doctrine, repose sur la conscience, garante de la liberté – y compris de la liberté religieuse que reconnaîtront les pères conciliaires. «Pour Newman, la conscience n’est pas un phénomène psychologique. C’est la voix de Dieu en nous, l’écho de sa voix en nous, définit le Genevois. Même l’autorité du Pape repose sur la conscience».

Consulter, ne pas s’installer, faire dialoguer les différents courants théologiques – sans relativisme mais sans dogmatisme non plus –: voilà le chemin que John Henry Newman peut apporter aux catholiques d’aujourd’hui. Ainsi que l’a dit le Saint-Père le 1er novembre, le nouveau docteur montre aussi qu’il est «possible de vivre avec passion au milieu de la complexité du présent» et rappelle, dans son hymne Lead, kindly light («Guide-moi, douce lumière»), que si nous chancelons, rien «ne nous arrête parce que nous avons trouvé le Guide».

Du pasteur au cardinal