Le divorce est une épreuve pour les conjoints et leurs enfants. Mais les grands-parents aussi sont affectés. Pas évident de trouver sa place pour soutenir au mieux enfants et petits-enfants. En outre, le droit de visite pour les grands-parents n’existe pas en Suisse.


«Quand il est arrivé à l’improviste un samedi matin tout seul, on a senti que quelque chose n’allait pas. Mais jamais on n’aurait imaginé qu’il venait nous annoncer cette nouvelle.» Assis à la table de leur cuisine dans une jolie maison entourée de thuyas et de quelques arbres fruitiers dans un village valaisan, Evelyne* et son mari Joseph* peinent à cacher l’émotion qui les gagne. Cela fait pourtant plus de quatre ans que leur fils, père de deux enfants, est venu les voir la mine déconfite pour leur dire que son épouse avait quitté le foyer. Si leur fils a rapidement dû se remettre en selle pour assumer au mieux sa nouvelle vie de père séparé, Evelyne* et Joseph*, qui ont aussi paré au plus pressé pour soutenir moralement leur fils et leurs petits-enfants, semblent encore marqués par ce changement. «Sans être dramatique, c’est douloureux. On a appris à vivre avec, on gère», confient-ils en soulignant que leur fils et leur belle-fille ont heureusement su se mettre d’accord pour la garde, «ce qui a beaucoup aidé».

«Nos petits-enfants ne nous parlent pas trop de leur maman et nous ne leur posons pas de questions, remarque Evelyne*. Nous ne l’avons plus jamais revue. Je ne lui jette pas la pierre, personne n’est parfait. Parfois je me demande si j’ai bien élevé mon fils. J’ai fait de mon mieux, mais ce n’était peut-être pas assez…» Leur fils voit quelqu’un depuis quelque temps. «Une maman également divorcée, mais ils n’ont pas beaucoup de temps pour eux entre le travail et les gardes partagées. Mais le voir à nouveau heureux nous réconforte.»

Comme les autres

Maintenant, on est comme les autres: c’est ce que leurs petits-enfants ont dit quelque temps après la
séparation. Dans les faits, deux couples sur cinq divorcent, selon les estimations de la Confédération. «C’est triste! Même dans les villages, la plupart vivent avec des parents séparés», lance Evelyne*. «La base de la société, pour nous, c’est la famille, dit Joseph* en servant un café à sa femme. Voir celle de notre fiston voler en éclats, ça a été dur à accepter.» Tout une conception du monde semble partir en fumée. «Nos valeurs, notre éducation, tout est remis en question. On se demande par exemple ce qui se passera quand de plus en plus de personnes seules vieilliront et commenceront à avoir des pépins de santé, chacune dans son coin. Qui s’occupera d’elles?»

Le couple remarque qu’il aurait aussi eu des occasions de se séparer, «mais nous avons surmonté nos problèmes, on a tenu bon, et maintenant nous sommes récompensés, toujours là l’un pour l’autre». Difficile pour autant d’affirmer que les jeunes se séparent trop facilement sans penser à l’avenir, car le monde «a tellement changé». Tout va très vite, observent Evelyne* et Joseph*; le travail ne laisse plus beaucoup de place au reste.

Aux jeunes générations, plus «écolos» que les précédentes, le couple de retraités aimerait parfois dire: «Prenez le temps de la réflexion, soignez votre couple, car devoir tout avoir à double quand on se sépare – deux maisons, deux autos… –, ce n’est bon ni pour le porte-monnaie ni pour la planète. Non?». Pour les familles sans souci financier, la séparation est déjà difficile à vivre, remarque Evelyne*, mais pour celles qui manquaient de ressources avant, c’est la voie royale vers la précarité (plus d’un quart des familles monoparentales manquent d’argent pour vivre, indiquait à ce propos Caritas en décembre).

Si elle les a aussi peinés, la séparation d’un autre de leurs enfants quelque temps plus tard les a moins pris au dépourvu. Et dans un cas comme dans l’autre, les petits-enfants n’ont – «Dieu merci» – jamais été pris en otage. «Nous n’osons imaginer les souffrances des familles qui se déchirent autour des enfants. Confier les nôtres dans la prière nous aide à oublier la culpabilité et le jugement, à accepter la vie de chacun, à être à l’écoute et à aimer», concluent ces catholiques.

Un soulagement

Solange*, également retraitée et mère de plusieurs enfants – dont deux toujours mariés –, n’a pas vécu la fin du couple de sa fille de la même manière. «Plus qu’une souffrance, cette séparation a été pour moi un soulagement. Bien sûr, j’ai eu beaucoup de peine pour ma fille qui a été profondément blessée par cette épreuve, mais je sentais depuis longtemps que quelque chose clochait avec son mari. Un accident grave a accéléré les choses. Au fil des mois, leur relation s’est détériorée et quand il a choisi de rompre avec ma fille, je n’étais pas surprise.»

Et les petits-enfants? «Pour eux, il aurait été préférable que le couple perdure, mais c’était devenu bien trop difficile. Le divorce, ça ne devrait pas exister, c’est très douloureux. Les crises peuvent être surmontées, oui. Mais quand il y a trop de souffrance, quand on a vraiment essayé et que ça ne marche pas, il faut accepter cette situation. La vie ne devient pas plus facile et avec les soucis financiers qui s’ajoutent, c’est un parcourt du combattant.»

Pour cinquante séparations, il y a cinquante histoires différentes, assure-t-elle, alors il est inutile de se comparer aux autres. «Tout cela me fait juste mal au cœur. J’essaie simplement d’être à l’écoute», confie Solange* qui, comme son mari, n’a jamais dit du mal de leur papa aux petits-enfants. «On n’a pas le temps pour ça, on a bien trop à faire quand ils viennent à la maison et retrouvent leurs cousins pour jouer.»

La retraitée qui s’appuie sur sa foi, son époux et leurs proches pour affronter les épreuves de la vie n’a jamais été déprimée par cet échec. «Savoir que ma fille peut être heureuse malgré sa séparation m’aide beaucoup. Elle retrouvera peut-être l’amour. On a la chance de vivre dans une société ouverte où des services d’accompagnement des enfants existent. La parole des femmes compte aujourd’hui. Elles ont un métier et peuvent s’en sortir financièrement seules même si le manque d’argent engendre un gros stress et les empêche de voir leurs enfants autant qu’elles le voudraient.»

Grands-parents: aucun droit

Selon l’avocat spécialiste de la famille Josef Alkatout, les grands-parents n’ont aucun droit sur leurs petits-enfants. CER

Il est rare que les grands-parents qui le désirent ne puissent plus voir leurs petits-enfants après un divorce. Mais dans certains la question se pose: peuvent-ils réclamer un droit de visite? «Non, répond l’avocat Josef Alkatout, spécialiste de la famille, en nous recevant dans une grande tour de verre des Eaux-Vives qui abrite à Genève l’étude Borel & Barbey. De droits, ils n’en ont aucun en réalité. Il n’existe même pas de dispositionlégale qui concerne spécifiquement les grands-parents. Considérés comme n’importe quel ‘tiers’ (proches, amis, cousins, oncles), ils peuvent selon une disposition générale se voir octroyer dans de rares cas un droit de visite.»

En France, en Allemagne ou au Canada où le lien de filiation avec le petit-fils ou la petite-fille a un réel poids, les grands-parents ont le droit d’entretenir des rapports personnels avec leurs petits-enfants, droit qu’ils peuvent opposer à leur belle-fille, leur beau-fils ou même leur propre enfant en cas de litige. «En Suisse, les grands-parents doivent prouver que le contact avec l’enfant est positif pour lui, ce qui est très difficile à réaliser. A l’inverse, n’importe quel prétexte est bon pour s’opposer à cette demande, par exemple si grand-papa aime boire un verre de vin en mangeant à midi…»

A la fin de l’année dernière le Tribunal fédéral a jugé le cas d’un enfant de 4 ans qui vivait avec sa mère et sa famille maternelle en Valais. Installé à Fribourg, le père exerçait un droit de visite classique (un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires). Lors de la mort de la maman, la garde a été attribuée exclusivement au père qui s’est opposé à toute visite. Les tribunaux cantonal puis fédéral ont tranché en faveur de la famille maternelle qui a, depuis, le droit de voir l’enfant un week-end sur deux et trois semaines par an durant les vacances scolaires.