Le fait, décourageant, est que nous écrivons rarement des choses nouvelles et que l’homme, plume ou Smartphone à la main, reste intrinsèquement le même. Les siècles passent, les aspirations demeurent – et les entraves et les névroses. Exemple: dans Guerre et paix, le comte Tolstoï écrit que le fictif Pierre Bezoukhov «possédait la malheureuse faculté de croire à la possibilité du bien et de la vérité, et, en même temps, de voir trop lucidement le mal et le mensonge de l’existence pour être capable de prendre sérieusement part à la vie». Il aurait pu l’écrire pour nous, hommes du 21e siècle qui sommes tous, par moments, Pierre Bezoukhov.

Fortifiés par la foi ou soutenus par un naturel positif, nous sommes certains que la justice et la bonté triompheront. Puis nous lisons les journaux – par exemple. Sur Internet, certains médias nous paralysent. Soigneusement choisis, les sujets vont du sordide au scandaleux en passant par le macabre et l’ignominieux. Mais, paradoxalement, la beauté ne nous donne pas toujours davantage d’ardeur. Rentrez de vacances et voyez la joie d’autres vacanciers sur les réseaux sociaux. Retouchées ou non, ces photos cumulées peuvent soudain paraître extraordinaires ou enviables au point que nos propres voyages, nos propres vies semblent fades. Ou pas aussi palpitantes. Il ne s’agit pas même de jalousie, juste d’un constat biaisé par l’accumulation d’images.

Depuis notre enfance, nous sommes enjoints à ouvrir les yeux: «Regarde ce que tu fais! Regarde où tu mets les pieds!». «Regarde voir», entend-on même parfois… Peut-être devrions-nous apprendre à faire l’inverse. Non pour oublier ou ignorer, mais pour remettre les choses à leur place. Les yeux clos, retrouver les images de nos propres vacances, de notre propre expérience du bien et recréer l’équilibre des choses. Parce que nos yeux exagèrent les contrastes du monde, se fixant sur des points précis et oubliant l’essentiel du décor. Fermons les yeux, une fois par jour, afin, même en sachant que le mal et le mensonge existent, de voir lucidement le bien et la vérité. Car ceux-ci, dans la balance, surpassent bel et bien ceux-là.