En avance sur son temps, Maurice Zundel (1897-1975) parle au nôtre. Cinquante ans après sa disparition, la pensée du théologien neuchâtelois, qui évoque la dignité et la liberté de l’homme, est on ne peut plus actuelle. Exigeante, elle invite à l’émerveillement.
«En chacun, il y a un infini qu’il faut délivrer.» Marc Donzé pioche au hasard dans les 365 citations d’un calendrier réalisé par l’association Maurice Zundel. «Quand Dieu nous demande quelque chose, c’est pour nous le donner.» Sur les réseaux sociaux, les phrases publiées quotidiennement par la Fondation Maurice Zundel qu’il préside sont vues par 3000 personnes en moyenne, parfois jusqu’à 10’000. En Suisse, en France, en Belgique, au Canada.

Dans son bureau situé au sous-sol de l’Espace Maurice Zundel, à Lausanne où le prêtre et théologien neuchâtelois a passé les trente dernières années de sa vie, il précise toutefois que sa pensée ne se résume pas à quelques aphorismes: «Certains ont dit que c’était un poète, un spirituel rêveur. Cela va plus loin que ça. Sa pensée est articulée et argumentée». Marc Donzé est bien placé pour le savoir; il a consacré sa thèse en théologie en 1979 à la pensée de Maurice Zundel et finalise le neuvième et dernier volume de ses œuvres complètes, à paraître en fin d’année.
Libre et digne
Jean Winiger en sait également quelque chose. L’homme de théâtre a écrit une pièce rendant hommage à Maurice Zundel à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition (il est mort le 10 août 1975 à Lausanne): «J’ai été confronté à l’immensité de son œuvre». Seul sur scène, le Fribourgeois incarnera à partir du 29 août un auteur-acteur justement emprunté face au message du Neuchâtelois et face à ses propres problèmes – une femme qui a avorté et s’est suicidée, les difficultés du temps. Un personnage qui, en lisant Maurice Zundel, «trouve des raisons d’espérer et des pistes de compréhension de son mal et de celui de notre époque. Ce qui m’a paru important, c’est qu’il a des réponses fortes aux problèmes d’aujourd’hui».
«On disait de son vivant qu’il avait de l’avance sur son temps. A raison», confirme Marc Donzé, qui y voit une preuve dans le fait que la pensée de Maurice Zundel est davantage connue aujourd’hui qu’à l’époque où il arpentait Lausanne vêtu d’une soutane blanche parfois recouverte d’une grande cape noire.

Ses réflexions sur la dignité et la liberté de l’homme résonnent encore aujourd’hui, souligne son exégète: «Il a un respect absolu de la personne humaine dont il affirmait l’inviolabilité. ‘On n’entre pas dans une âme comme dans un moulin’, avait-il dit. C’est une phrase extraordinaire!». En dialogue avec les œuvres de son temps, celles de Camus et de Sartre par exemple, le Neuchâtelois s’interrogeait sur la liberté, dont il parlait beaucoup. «Tout le chemin de l’homme est pour lui un chemin de liberté. Dieu veut sa grandeur, pas son humiliation ni sa soumission.»
Ces questions et l’ouverture sur l’infini – son premier livre, Le Poème de la sainte liturgie (1926), commence par établir que «l’homme est une capacité d’infini» – attirent vers Maurice Zundel, mais force est d’admettre que sa lecture est ardue. «Des personnes qui le lisent reconnaissent que c’est difficile, disent ne pas tout comprendre, mais soulignent que ça les touche au cœur, relève Marc Donzé qui a vécu la même chose en assistant à quelques-unes des centaines de conférences de Maurice Zundel lorsqu’il avait 16 ou 17 ans. On ne comprenait de loin pas tout, mais ça nous touchait au cœur. Parce qu’on sentait qu’il vivait ce qu’il disait. Parce qu’on sentait sa flamme.»
Chercher toujours
Face à son exigence intellectuelle qui montre que les phrases réunies en anthologies (la dernière, Devenir libre, est sortie en mars; voir EM16) ne sont «pas des petites recettes faciles», le meilleur moyen d’aborder Zundel est l’émerveillement. «Pour trouver Dieu et dépasser ce déterminisme qu’est notre ego, il faut s’émerveiller devant la nature, la science, l’amour, l’art et le silence», esquisse Jean Winiger.
«S’émerveiller, ce n’est pas juste constater que c’est beau. Ça veut dire creuser ce qui nous étonne», complète Marc Donzé. Maurice Zundel citait souvent saint Augustin – «Vous étiez au dedans de moi; mais j’étais moi-même hors de moi, et c’était là que je vous cherchais» (chapitre 27 du livre 10 de ses Confessions), ce que le Neuchâtelois exprimait de la manière suivante: «Dieu est toujours déjà là». Il faut donc «chercher, chercher, chercher», appuie Marc Donzé. Pour se trouver soi-même et trouver le mystère de la Trinité «qui nous libère du cauchemar d’un Dieu unique et solitaire qui s’aimerait tout seul». Le Dieu qu’a trouvé Zundel est un Dieu d’amour, un Dieu qui est pauvreté, c’est-à-dire don. «Il ne met pas la main sur nous, il nous envoie dans l’existence en toute liberté pour que, peut-être, nous répondions à son amour», précise, dans l’esprit de Zundel, le prêtre retraité.
«Zundel est le grand personnage de l’Eglise catholique pour notre monde d’aujourd’hui. Il nous ramène au christianisme authentique», admire Jean Winiger. Avec lui, ajoute l’homme de théâtre fribourgeois, «on s’allège. Il y a des possibilités d’avancer sans être oppressé».
Vers la joie d’exister, pièce de théâtre de et avec Jean Winiger.
Premières représentations:
Espace Maurice Zundel, Lausanne.
Vendredi 29 août et samedi 30 août à 20 h, dimanche 31 août à 17 h.
Renseignements et agenda complet: mauricezundel.com.