Les scandales autour des vins valaisans donnent une mauvaise image du canton. Et de sa justice. Pourtant, «à part quelques gros bugs», celle-ci fonctionne, estiment des observateurs avertis. Dont le président de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais Yvan Aymon qui se bat depuis dix ans pour que les affaires de vin coupé cessent.

«On ne peut pas se réjouir du fait qu’un homme va passer plusieurs années de sa vie en prison», répond Yvan Aymon lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de la condamnation en appel de l’encaveur de Chamoson Cédric Flaction à 45 mois de prison ferme pour avoir commercialisé du vin espagnol, schaffhousois ou élaboré à partir de grappes acquises au noir sous l’appellation AOC Valais. Un verdict inédit dans une affaire viticole hors norme vu les volumes concernés – des centaines de milliers de litres – et le caractère systématique de l’arnaque. Durant sept ans, de 2009 à 2016, le condamné aux multiples comptes en banques gelés et aux treize autos de luxe sous séquestre a en effet, selon la juge, multiplié les fausses factures et écritures comptables pour «déjouer les contrôles» et «tromper ses acheteurs», «motivé par l’argent et un train de vie supérieur à ce qu’il pourrait avoir légitimement».

La procureure générale adjointe Catherine Seppey le 16 septembre. L’Etat du Valais a entamé la procédure contre Cédric Flaction en 2017. KEYSTONE

Pourquoi si lente?

«En revanche, reprend le président de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV) en nous recevant quelques heures après l’annonce du verdict, le 16 septembre, dans les bureaux de la faîtière de défense professionnelle et de promotion des vins du Vieux Pays fondée en 2000, on peut se réjouir que la justice valaisanne ait enfin fait son travail.»

Enfin? «L’IVV dénonce depuis dix ans le système de fraude massive à l’AOC Valais mis en place par quelques individus pour s’enrichir, rappelle Yvan Aymon. Nous nous battons pour mettre fin aux agissements d’une poignée d’escrocs qui non seulement souillent l’image du secteur et du canton, mais appauvrissent les vignerons: en inondant le marché avec du vin frauduleux, ils cassent les prix, ce qui se répercute en bout de chaîne sur la valeur du raisin; sans oublier que les crus réellement valaisans voient leur place prise par ces produits illicites.» Une tricherie d’autant plus difficile à avaler que les cuves restent désespérément pleines, la consommation baissant irrémédiablement depuis des années (moins 16% pour les vins suisses l’an dernier selon l’Office fédéral de l’agriculture). «La Confédération et le canton, mais aussi les sociétés viticoles ont dépensé de grosses sommes pour maintenir les prix en déclassant du vin AOC… alors que d’autres achetaient au même moment d’énormes volumes de vin étranger et les faisaient passer pour du valaisan. C’est révoltant.»

Une pratique «sans vergogne», selon le Valaisan, extrêmement dommageable, qui aurait dû appeler à une réaction éclair de la justice. Ce qui n’a de loin pas été le cas. «Les rapports établis il y a deux ans par la commission de Justice et le Conseil de la magistrature ont clairement expliqué à quoi cette lenteur était due. Les deux instances de contrôle ont constaté que les affaires importantes, pas seulement dans le domaine viticole, n’étaient pas traitées dans des délais convenables par le Ministère public (MP).» Un manquement que l’IVV a découvert dès le dépôt de sa plainte en avril 2015 contre un autre encaveur – présumé innocent – Dominique Giroud, toujours sous le coup d’une procédure judiciaire, également accusé d’avoir coupé des vins valaisans avec des crus étrangers et dont les sociétés ont été citées par la juge dans l’affaire Flaction.

Un long combat judiciaire

«Notre plainte a d’abord été jugée irrecevable. Le MP n’a pas voulu nous entendre et a essayé de nous mettre sur la touche. Puis le Tribunal cantonal nous a donné raison, mais tout ça a encore traîné. J’ai finalement attendu deux ans et demi avant qu’on veuille bien m’auditionner.» Entre «déclarations sur des ordonnances qui se contredisaient totalement» et un procureur qui «répétait à nos avocats que le dossier était vide sans donner plus d’explications», ces années de combat judiciaire ont été pour Yvan Aymon «ubuesques».

La cave Maison Rouge à Saint-Pierre-de-Clages dirigée par Cédric Flaction. Condamné il y a dix jours à 45 mois de prison ferme, le Valaisan peut encore recourir devant le Tribunal fédéral. KEYSTONE

Rien n’a bougé, raconte le Valaisan, jusqu’à la réorganisation du Ministère public entamée en 2023 pour mettre fin aux nombreux dysfonctionnements. «L’ancienne équipe disait qu’elle manquait de ressources. C’était peut-être vrai, mais avec l’arrivée de la nouvelle procureure générale et de son adjointe, le changement a été drastique. Nous avons enfin reçu des réponses à nos questions et sommes réellement considérés comme partie plaignante», explique le porte-parole de l’IVV qui a déposé il y a trois ans une autre plainte contre X pour une autre affaire de fraude.

Malgré les effets positifs de cette refonte de la justice sur les affaires en cours, Yvan Aymon et ses collègues n’étaient pas certains qu’une peine sévère serait prononcée le 16 septembre. «Les preuves irréfutables étaient là, pourtant chaque année qui s’écoulait permettait à ces délits de rester impunis», souligne-t-il en rappelant que toute escroquerie est prescrite après quinze ans. «Pour le comité de l’IVV, il n’est pas simple de s’élever contre des acteurs de la branche. Le courage qu’il faut à ses membres pour déposer des plaintes peut tout aussi bien se retourner contre eux si les affaires en question finissent par être prescrites. Le verdict dans l’affaire Flaction, en prouvant l’existence d’un système à l’origine de fraudes, montre néanmoins que notre action est totalement justifiée.»

Et pourtant, elle fonctionne

La justice valaisanne fonctionnerait-elle donc mieux qu’on le pense? «Bien sûr qu’elle fonctionne, répond Yvan Aymon. A part quelques gros bugs, comme durant ces huit dernières années, on remarque sur le long terme qu’elle agit. Même lorsque des gens très en vue, très influents, sont concernés.» Par exemple avec le promoteur de Fully Jean Dorsaz qui a abusé de sa position à la Banque cantonale du Valais et causé plus de 400 millions de francs de faillite dans les années 1990, écopant de six ans de prison. Ou dans les mêmes années avec l’ancien conseiller national PDC Otto G. Loretan impliqué dans la chute de la station de Loèche-les-Bains et condamné à quatre ans et demi. Tout comme, rappelait le 17 septembre Le Nouvelliste, avec Ignace Rey, l’ancien président de la caisse de pension des enseignants valaisans qui a passé plus de trois ans derrière les barreaux pour des placements risqués ayant causé des millions de perte. Sans oublier, dans les années 1970, la célèbre affaire Savro, du nom de l’entreprise de travaux publics qui, avec l’aval du chef du service cantonal des routes, a surfacturé de travaux pour des millions de francs. 

Yvan Aymon, président de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV). CeR

Ce qui n’a pas empêché Yvan Aymon de douter. «Cela fait plusieurs années qu’on nous dit: ‘Vous n’arriverez jamais à rien. Ces gens-là sont trop puissants’. Je me dis que c’est faux aujourd’hui que Cédric Flaction est condamné à une peine ferme. Et c’est une sérieuse mise en garde pour de potentiels fraudeurs.» 

Le président de l’IVV reconnaît également l’importance des médias comme contre-pouvoir capable de réveiller la justice. «C’est une journaliste de la RTS, Liliane Varone, qui a dénoncé le scandale Savro. Idem pour Marie Parvex dont un article dans Le Temps en 2013 a lancé l’affaire Giroud.» Le Nouvelliste qui à l’instar du Ministère public valaisan a opéré un changement d’équipe il y a une dizaine d’années, avec l’arrivée à la tête de la rédaction du quotidien valaisan de Vincent Fragnière, contribue aussi au changement. 

«Le ‘système Verbier’ des constructions illégales de chalets a par exemple été dénoncé par Julien Vicky en 2015. Nombre d’affaires n’auraient pas vu le jour ni avancé sans la presse. L’image d’une république bananière dirigée par des magouilleurs sans contre-pouvoir ne correspond pas à la réalité, conclut Yvan Aymon. Qui aime bien châtie bien. Une affaire Flaction dans un autre canton n’aurait jamais la même résonnance. C’est peut-être parce que les Suisses ont une affection particulière pour le Valais.»