Le musée Jenisch montre la relation cultivée avec les arts visuels par le Vaudois de Grignan Philippe Jaccottet (1925-2021). Celui qui devint le plus grand poète francophone vivant aimait Piero de la Francesca, Morandi, Alberto Giacometti, Gérard de Palézieux et tant d’autres.

Philippe Jaccottet (à gauche) en 2014. SERGE ASSIER

La critique d’art est-elle «scientifique»? En partie. Requiert-elle des vertus d’ordre littéraire? C’est ce qu’a excellement raconté le Museo d’arte de Mendrisio (EM12) en remettant en lumière les plumes «longhiennes» des Francesco Arcangelli, Giovanni Testori et autres grands perspicaces italiens. L’écriture des arts visuels concerne également les poètes, qu’il s’agisse de Baudelaire s’enflammant pour Delacroix, de Rilke popularisant Rodin dans le monde germanophone et, aujourd’hui, de Philippe Jaccottet et ses peintres, titre le musée Jenisch de Vevey (commissaires: Nathalie Chaix et Florian Rodari).

En 2021, année de la mort du poète vaudois ayant passé l’essentiel de son existence à Grignan dans la Drôme, le volume Bonjour Monsieur Courbet recueillait ses textes sur les arts visuels. On y lisait ses mots sur le porche roman de la basilique San Zeno de Vérone. Ainsi que sur d’autres artistes que l’institution veveysane réunit dans une petite salle, trop petite à notre avis, mais après tout, cet hommage a le mérite de la densité.

Peintures et sculptures

Jaccottet a fréquenté un bon nombre de peintres, et plus d’un Romand, aujourd’hui bien oubliés comme Gérald Goy, Jean Eicher dit Loiseau, Lélo Fiaux ou Henriette Grindat. Son épouse Anne-Marie était également peintre. On retrouve aux cimaises du Jenisch des œuvres de ces personnes (Italo de Grandi, Jean-Claude Hesselbarth, Nasser Assar, Antoine Poncet, etc.) et on ne s’étonne guère que la sensibilité de Jaccottet ait été touchée par leurs productions.

Natura morta de Giorgio Morandi (1957). JENISCH

On sait l’admiration du poète suisse pour «l’un des grands chocs de ma vie de visiteur de musée plus ou moins distrait»: le Baptême du Christ de Piero della Francesca à la National Gallery de Londres. Sur Chagall, Jaccottet écrit que «dans ce monde-là, tous les échanges sont possibles entre le bas et le haut comme entre l’ombre et la lumière; la joie et la tristesse, les différents règnes (et c’est bien pourquoi l’univers instable, mouvementé, à la fois mélancolique et gai du cirque, en est si souvent l’image)». Sur les sculptures de Giacometti, sa pertinence est encore plus grande: «Toute sa vie, il aura figuré des êtres qui semblent n’apparaître que pour disparaître, des êtres au seuil de leur disparition; des êtres tels que si les avait émaciés, érodés, la course du temps».

L’intellect de Jaccottet fut séduit par les natures mortes silencieuses de Giorgio Morandi, ce n’est à nouveau pas une surprise, et ses mots ont la lucidité pénétrante: «Je ne crois pas qu’un peintre ait travaillé sur un matériau plus pauvre; même pas Chardin, même pas Cézanne». Enfin, sur Gérard de Palézieux, notre «Morandi romand», il voit ceci, et bien: «Chaque fois qu’il le peut, il s’efface».