Cinq mois après son élection, le premier texte de Léon XIV, Dilexi te, secoue les catholiques: c’est «maintenant, pas demain» qu’il faut agir contre la pauvreté. Nier la dignité humaine des plus faibles risque de faire tomber notre société «dans un puits d’immondices». L’action doit être immédiate et forte.
Il y a du François dans cette exhortation apostolique sur l’amour envers les pauvres. Et c’est bien normal, puisque c’est le pape argentin qui l’a préparée durant les derniers mois de sa vie, Dilexi te (en français: «Je t’ai aimé») s’inscrivant dans la continuité de Dilexit nos sur l’amour du Christ. Léon XIV est heureux de faire sien ce projet, assure-t-il, partageant le désir de son «bien-aimé Prédécesseur que tous les chrétiens puissent percevoir le lien fort qui existe entre l’amour du Christ et son appel à nous faire proches des pauvres».

Il y a du François, mais il y a du Léon XIV, dont le souci social est connu depuis le choix de son nom, référence à Léon XIII, le pape de l’encyclique Rerum novarum qui a posé les bases de la doctrine sociale de l’Eglise. Un pape en phase avec les questions de son temps, comme l’est Léon XIV. Ce dernier, s’il part de l’Ancien Testament et remonte toute l’histoire de l’Eglise, écrit en 2025. Et pour 2025, pas pour 2026: «La dignité de toute personne humaine doit être respectée maintenant, pas demain».
Les pauvres d’aujourd’hui
Cet attachement au temps présent lui permet d’ajuster les consciences. Nous avons le sentiment que la pauvreté recule? «Lorsqu’on affirme que le monde moderne a réduit la pauvreté, on le fait en la mesurant avec des critères d’autres temps», rétorque-t-il en citant Fratelli tutti. Les pauvres ne sont pas seulement exclus de la vie sociale, ils sont aussi exclus des préoccupations de beaucoup, écrit Léon XIV. Il critique ainsi la persistance d’une «culture qui rejette les autres sans même s’en rendre compte et qui tolère avec indifférence que des millions de personnes meurent de faim ou survivent dans des conditions indignes de l’être humain». Et il s’interroge: comment cela est-il possible alors que les Ecritures sont très claires à propos des pauvres?
Pour le pape, la charité n’est ni négociable ni optionnelle. L’augustin se réfère à saint Augustin: la conversion «inclut nécessairement le service de la charité». Envers les malades, envers les migrants, dans la tradition de l’Egli-se. Le pauvre «est le représentant du Christ», avait affirmé Paul VI; Jean Paul II avait demandé de «laisser derrière nous le paternalisme de la simple assistance» aux besoins immédiats. Léon XIV appelle à l’action concrète parce que «la charité est une force qui change la réalité» et que «rester dans le monde des idées (…) sera la ruine de nos rêves les plus précieux».
Leur dignité et la nôtre
L’aide la plus importante, c’est l’aide à trouver un bon travail, celui-ci conférant de la dignité, au centre de l’exhortation apostolique. L’avenir de nos sociétés dépend de notre décision de conférer ou non la même dignité que la nôtre aux faibles, aux moins pourvus, à ceux qui sont nés avec moins de possibilités. «Soit nous reconquérons notre dignité morale et spirituelle, soit nous tombons dans un puits d’immondices», écrit le pape dans un paragraphe particulièrement fort.

Léon XIV rappelle les catholiques à leur devoir: il leur «incombe» de faire entendre «une voix qui réveille, qui dénonce, qui s’expose même au risque de passer pour des ‘idiots’». Une voix prophétique, donc, qui s’attaque aux «structures d’injustice» et qui porte. La religion ne se limite pas à la sphère privée, elle va de pair avec un engagement pour le bien commun. Il ne s’agit pas de compter sur le gouvernement, les riches et les puissants ou le libre marché – ce serait là une attitude mondaine, dénonce le Saint-Père.
Le pape des Amériques n’oublie pas l’aumône, «un moment nécessaire de contact» touchant le cœur de celui qui la fait et donnant à celui qui la reçoit le sentiment que «les paroles de Jésus s’adressent à lui: ‘Je t’ai aimé’». Elle ne saurait toutefois suffire; elle ne dédouane personne, ni individus ni institutions ni autorités, de la lutte pour la justice.
Des réactions positives
Dans un texte publié sur le site internet de la Conférence des évêques suisses, qu’il préside, Mgr Charles Morerod souligne que Léon XIV «rappelle des éléments essentiels du christianisme alors même que la pauvreté est loin de disparaître, et que l’aide publique aux pauvres est largement réduite». Directeur de Caritas Fribourg, Pascal Bregnard écrit pour cath.ch que ce texte «n’est pas une exhortation; c’est une insurrection spirituelle. Une déclaration de guerre contre l’indifférence, la tiédeur, la résignation. Le pape ne propose pas un idéal: il trace une ligne».
Dans La Croix, le président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens Pierre Guillet juge pour sa part que «Léon XIV nous remet à notre place. Il vient éveiller les consciences de chacun». Le correspondant du quotidien français au Vatican Mikael Corre conclut pour sa part que Léon XIV «rend à la charité son
tranchant évangélique». Tout se trouve dans cette formule: avec Dilexi te, le pape remet les catholiques sur la voie révolutionnaire tracée par le Christ.