Carlo Acutis sera canonisé moins de vingt ans après sa mort*. Alors que la Fribourgeoise Marguerite Bays a patienté 140 ans et que le Valaisan Maurice Tornay, assassiné en 1949, attend toujours. Ces délais différents s’expliquent pas les procédures, mais aussi par l’esprit du moment.

Sainte Marguerite Bays a d’abord été béatifiée par Jean Paul II à Rome en 1995. KEYSTONE

«Pour Nicolas de Flue, ça a pris beaucoup plus de temps, 460 ans», sourit Martial Python. Le biographe de sainte Marguerite Bays, canonisée en 2019, ne jalouse pas la rapidité de la canonisation de Carlo Acutis. Il explique cette différence par plusieurs éléments, comme la diligence du postulateur – la personne chargée de défendre la cause du futur saint –, et la volonté du pape. «Pour Carlo Acutis comme pour Marguerite Bays, il est évident qu’il y a un coup de pouce de François. Il a été touché par la figure du jeune homme. Et Marguerite Bays correspondait à son souhait de canoniser une personne simple au côté du cardinal Newman.»

Il se mêlerait donc à cette affaire un peu de politique? «C’est aussi en rapport avec le moment. La canonisation de Carlo Acutis parle aux jeunes et à notre temps. Celle de Marguerite Bays aussi: il est beaucoup question de la transmission de la foi par les laïcs. Or, elle était une laïque engagée auprès des enfants», expose le père spirituel de la Maison des séminaires à Givisiez (FR). Qui ajoute que «le ciel nous donne des figures pour aujourd’hui».

Le ciel et non le pape, qui ne peut décider que telle ou telle personne est sainte. «Un signe est nécessaire pour l’Eglise, un signe de Dieu». En disant signe, Martial Python désigne ce que nous appelons le plus souvent un miracle. Sans miracle, il n’y a pas de canonisation.

Dans l’attente du procès

A Orsières, quand on parle de Maurice Tornay, il convient d’être précis. Parle-t-on du chanoine du Grand-Saint-Bernard assassiné au Tibet ou de l’ancien conseiller d’Etat? Le second, Maurice Tornay, président de l’Association des amis du premier, parle de son homonyme et lointain parent en disant «le bienheureux» – le mot est par ailleurs joli et exprime une belle chose. Quelques jours plus tôt, il a accueilli dans le village valaisan les représentants de la fondation Sainte Marguerite Bays. «Ils sont plus avancés que nous, puisqu’elle est déjà canonisée», remarque-t-il. La cause du bienheureux chanoine en est à ses débuts. Mais des premiers pas ont été effectués en vue de la reconnaissance d’un miracle, la guérison spontanée d’un montagnard victime d’un malaise auquel il n’aurait pas dû survivre alors qu’il marchait à 5000 mètres d’altitude sur les traces du bienheureux (EM32/2024).

«La situation n’était pas très simple dans la mesure où le diocèse compétent est celui où le miracle présumé a eu lieu, en l’occurrence celui d’Islamabad au Pakistan. En février, à notre demande, l’évêque a accepté de transférer la juridiction canonique au diocèse de Sion», raconte Maurice Tornay.

Evêque de Sion, Mgr Jean-Marie Lovey confirme l’information. Il a également obtenu l’accord de Mgr Morerod, car le bénéficiaire du miracle présumé vit sur le territoire de son diocèse; il doit à présent obtenir celui de la congrégation pour la Cause des saints à Rome. Mgr Lovey devra ensuite désigner les membres d’un tribunal chargé d’examiner le miracle et le notaire chargé de la contradiction – l’avocat du diable –, tandis que l’Association des amis nommera le postulateur. Au terme de la procédure en Valais, il reviendra aux autorités vaticanes d’examiner le dossier.

«La question est: y a-t-il une guérison permanente qui ne s’explique pas scientifiquement et, si c’est le cas, est-elle attribuable à l’intercession du bienheureux?», indique Maurice -Tornay qui prépare activement le dossier, «prêt à 90%». Il faut dire qu’une bonne partie du travail a déjà été réalisée lors du procès pour la béatification du chanoine, par exemple l’étude de ses écrits.

Vertueux, pas parfaits

A Siviriez (FR), l’humble Marguerite Bays n’a pas laissé de textes signés de sa main. En revanche, elle recevait régulièrement les stigmates, les plaies du Christ. «C’est plutôt un frein, parce qu’il faut examiner cette union mystique, s’assurer que ce n’est pas une falsification ou un phénomène psychique. Cela prend du temps», relève Martial Python.

Surtout, le procès examine l’héroïcité des vertus de la personne, ce qui importe bien plus aux yeux du prêtre fribourgeois. La perfection n’est pas demandée. «Il y avait deux éléments négatifs pour Marguerite, relève son biographe, mais beaucoup plus pour le Padre Pio.» Certains de ses contemporains la jugeaient méchante, car cette femme de caractère s’opposait parfois aux paysans pour le bien des enfants. Du reste, «on disait dans la population qu’il fallait que les membres de sa famille meurent avant de la canoniser, pour qu’ils ne puissent pas en tirer orgueil».

Maurice Tornay admet que son bienheureux homonyme avait un caractère bien trempé. «S’il était un modèle parfait, ce serait plus difficile de le présenter comme un exemple aujourd’hui. Avec ses imperfections, il nous parle aujourd’hui par son témoignage fort et sa spiritualité éblouissante.» Et de citer cet aphorisme: «Perdre tout sauf la joie». «C’est un homme proche de nous qui nous dit que nous avons en nous une force supérieure et une joie intérieure qui peuvent nous habiter même dans une situation très difficile», apprécie Maurice Tornay. C’est pour cela qu’il souhaite la canonisation du bienheureux, pour transmettre ce message plus largement, un saint étant proposé comme modèle aux catholiques du monde entier alors que la mémoire d’un bienheureux est plutôt régionale.

Fiat voluntas tua

Comme Marguerite Bays, Carlo Acutis et Nicolas de Flue, le bienheureux Maurice Tornay devra passer, après le procès diocésain, par l’étape du procès romain devant la congrégation pour la Cause des saints et attendre ensuite l’accord du pape. «Nous travaillons beaucoup pour sa cause, mais si elle aboutit ou non, ce sera la volonté de Dieu», glisse, serein, Maurice Tornay. Avec, peut-être, le coup de pouce d’un prochain pape montagnard?

* Cet article avait été publié avant le décès du pape François. La canonisation de Carlo Acutis aura dès lors lieu à une date ultérieure.