Contraint de fuir l’Afghanistan à 16 ans, Zahid a rejoint la Suisse en 2021, année du retour des talibans. Son accueil dans une famille vaudoise il y a un an et demi a donné un joli coup d’accélérateur à son intégration: l’ado qui il y a peu parlait uniquement le pachtoun travaille désormais comme animateur social en EMS.
«Un ado?»: Christelle Andrey, mère de trois enfants, était «un peu sceptique» quand l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) lui a proposé de recevoir sous son toit un jeune Afghan. Avant lui, il avait été question d’un Ukrainien d’une trentaine d’années. «Mais c’était compliqué pour le transport, car il faisait du bénévolat à Yverdon et suivait des cours à Sainte-Croix pour apprendre le français.»
Christelle Andrey et son compagnon Gérard Vögeli, père de deux enfants (il s’agit d’une famille recomposée), s’étaient décidés à faire «un petit quelque chose de concret» pour les réfugiés après l’appel lancé en 2022 par le canton de Vaud confronté à l’arrivée de nombreux Ukrainiens fuyant la guerre. «Ils cherchaient des familles d’accueil, alors on s’est inscrits sur la liste», raconte simplement le couple de Penthaz, commune du Gros-de-Vaud située à vingt minutes en voiture de Lausanne.

Au-delà du choc culturel
L’attente dure plusieurs mois, mais un beau jour Christelle et Gérard se retrouvent face à Zahid. «Comme c’est le cas avec beaucoup d’adolescents, nous avions vécu quelques moments un peu tendus avec mon plus jeune fils, le dernier à avoir quitté le nid peu de temps auparavant. Du coup, j’étais un peu réticente au départ, reconnaît la maman d’accueil en nous recevant dans la cuisine de leur maison de deux étages. Pourtant, j’ai oublié toutes mes réserves au moment de rencontrer notre Zahid: le courant a tout de suite passé.»
Il faut dire que le jeune Afghan, en cours à Yverdon dans le cadre de son préapprentissage le jour de notre visite, s’exprime avec une facilité déconcertante en français. Cette aisance, alliée à une volonté d’aller vers les autres, a permis au couple, lui-même aussi simple et direct qu’enjoué, de bâtir une relation de confiance avec Naseri Zahidullah, nom d’origine pachtoun dont Zahid est un diminutif. Arrivé en Suisse en juin 2021, le jeune homme, issu d’une région rurale où l’on mange traditionnellement avec les mains assis au sol sur de beaux tapis et des coussins, a dû tout apprendre des us et coutumes locaux. Lors de ses cinq premiers mois au Tessin et ensuite à Lausanne où il a vécu dans un appartement protégé pour mineurs non accompagnés.

En parler tout de suite
«Quand je suis allé le chercher en ville, explique Gérard Vögeli, où il m’attendait avec son matelas, ses deux casseroles et son saladier – des ustensiles faisant partie du kit de base donné par l’EVAM –, Zahid était déjà bien familiarisé avec la manière de vivre des Suisses. Et depuis, je peux dire que nous n’avons jamais eu de difficulté avec lui.» Notamment parce que ses hôtes ont prié leur invité de parler directement et sans gêne en cas de doute ou problème.
Et Gérard, électricien de maintenance dans un important centre de données de Lausanne, a montré l’exemple: «Je savais qu’il ne mangeait pas de porc alors que nous aimons vraiment ça; je lui ai donc demandé si cela le dérangeait que j’utilise la même spatule pour cuisiner son plat et le nôtre. Il m’a répondu que non et c’était réglé». Parfois, c’est Zahid qui se met derrière les fourneaux. «Il nous prépare du poulet avec une sauce tomate bien épicée et du riz qu’il cuit en suivant une méthode traditionnelle en superposant une casserole et un autre plat. On lui a montré comment fonctionne une cocotte-minute, mais il préfère sa technique», dévoile avec tendresse Christelle. «Il nous fait aussi de bonnes aubergines à l’ail», complète Gérard. «Et il y a le naan, ce pain typiquement afghan délicieux», salive encore la Vaudoise. Bien que les dépenses alimentaires soient couvertes, le jeune exilé des montagnes afghanes tient à payer avec ses économies lorsqu’il cuisine. «On l’a aussi initié aux spécialités suisses: il préfère la raclette à la fondue parce qu’il n’aime pas trop le goût du vin blanc.»
Vous me gardez?
Et pour l’heure de rentrée du soir? «Zahid connaît parfaitement les horaires des bus et des trains; il est très autonome. Il a des journées très chargées et ne rentre jamais tard à la maison, 22h au plus. Il est très rare que nous devions aller le chercher. Comme cette fois où il s’est endormi dans le train…» Les Vaudois savent qu’ils sont tombés sur un client facile. «On a beaucoup de chance. Pour le ménage, on fait un tournus, mais je dois quand même le freiner et lui dire de penser à se reposer au moins le dimanche», lâche en riant Christelle.
Un jour pourtant, alors que le trio rentre de balade, Zahid demande à leur parler. «On a pensé: ‘Tiens, il y a un souci, là’, se souvient Gérard, quand il se tourne vers nous et nous demande: ‘Comptez-vous me garder?’». L’échéance des six mois après lesquels le contrat passé entre la famille d’accueil et leur invité est renouvelé se rapprochait et le jeune homme craignait un refus. «Nous lui avons assuré que nous ne le lâcherions pas tant qu’il n’aurait pas terminé son apprentissage», raconte Christelle. Quelque temps auparavant, alors qu’il leur avait annoncé qu’il songeait à se lancer dans un apprentissage, Gérard l’avait encouragé à foncer. Christelle, qui avait peur que ce soit un peu trop tôt, notamment en raison des difficultés écrites en français, n’avait rien dit. «Mais quand il nous a parlé de son idée de prendre un emploi à côté pour gagner de l’argent, nous le lui avons vivement déconseillé, précise Gérard qui a travaillé durant 25 ans sur des chantiers comme installateur électricien. Je lui ai dit de profiter des cours et d’obtenir un CFC. Bien sûr qu’il peut gagner quelques milliers de francs immédiatement comme manœuvre ou en faisant la plonge le soir dans un restaurant, mais ce serait aux dépens de ses études.»
Orienter sans s’immiscer
Le couple considère leur protégé un peu comme leur fils. «Nous l’écoutons, sommes attentifs à lui, à ses besoins, et ne l’avons jamais mis de côté. D’ailleurs, il participe aux anniversaires et repas de famille avec nos enfants et petits-enfants», signale l’homme de la maison en montrant les banderoles affichées à l’entrée rappelant la fête de ses 50 ans ayant eu lieu la veille. «Cela dit, enchaîne la compagne du quinqua débonnaire, il est clair que nous ne sommes pas ses parents; nous sommes sa famille d’accueil.»
Et de ses proches, restés en Afghanistan, en parle-t-il? «Il nous montre des documentaires sur son pays et nous fait découvrir sa musique, mais parle assez peu de sa famille.» Ni de ce qui est arrivé lorsqu’il a dû fuir l’Afghanistan sac au dos. Après un an et demi, ses parents d’accueil ne prennent-ils pas mal le fait que leur protégé ne se soit pas confié à eux? «Pas du tout. S’il ne veut pas en parler, personne ne peut le forcer. Si un jour il s’y sent prêt et en a besoin, nous serons là pour lui.»
Il parle avec le cœur
A son arrivée en Suisse il y a trois ans, il n’en comprenait pas un mot. Alors comment se peut-il que Zahid, qu’on retrouve sur son lieu de travail dans un EMS entre Morges et Nyon, s’exprime si bien en Français? «Il faut aller vers les autres, parler le plus possible», répond l’Afghan de 19 ans. Bien étudier, aussi! Ce que ce praticien de kickboxing a fait d’abord à Lausanne à l’Ecole de l’accueil (pour les étrangers de plus de 16 ans), ensuite à l’Ecole de transition (pour les personnes à la recherche d’un apprentissage) et durant des cours du soir financés par le canton. On le soupçonne même de réviser chaque week-end.
Zahid, modeste, laisse planer le doute. Grâce à sa maîtrise du français, il enchaîne les stages dans les soins, en animation ou dans la vente et perce ainsi les secrets d’une société suisse diamétralement opposée à la sienne tout en se forgeant un réseau. «Une de mes enseignantes a proposé à sa cousine de me prendre en stage et c’est comme ça que j’ai trouvé cette place.» D’ici trois ans et quelques cours à l’école professionnelle d’Yverdon, Zahid devrait décrocher un CFC d’assistant socio-éducatif grâce au home qui lui a donné sa chance. Le jeune homme a pris la décision, difficile mais temporaire, de couper les liens avec la communauté afghane en Suisse. Pour accélérer son intégration, mais aussi «parce que c’est trop dur de penser continuellement à tout ça». Sa responsable au sein de l’EMS est admirative du travail réalisé par son apprenti: «Il parle avec le cœur et ne fuit jamais le contact avec les résidents qui apprécient sa curiosité et ses attentions». Lorsqu’ils le rencontrent pour la première fois, ces derniers le prennent souvent pour un civiliste, souligne Zahid en reprenant son travail.
VD: terre d’accueil
Il y a un mois et demi, 400 personnes étaient réunies à Lausanne pour remercier les familles d’accueil vaudoises qui ont ouvert leur porte à des requérants d’asile et personnes admises à titre provisoire en quête de sécurité. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plus de 4000 personnes ont trouvé refuge au sein de foyers privés. Une réussite due à un élan de générosité sans pareil en terres vaudoises. Et au projet «Héberger un migrant» lancé par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) en 2015, que le canton a repris et porte depuis.
Le nombre total des personnes hébergées actuellement par des familles encadrées par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants – 340, majoritairement Ukrainiennes – semble modeste en regard des quelques 12’000 placées par la Confédération sous sa responsabilité. Mais ce système permet d’alléger les autres structures d’accueil du canton. Et représente un puissant accélérateur d’intégration pour les gens concernés dont le français s’améliore, tout comme les chances de trouver un travail grâce aux liens locaux tissés. Sans oublier l’apport affectif que représente une famille d’accueil, synonyme de stabilité.