Moins de paroisses, suppression des régions et instauration de pôles: l’Eglise évangélique réformée vaudoise prépare sa mue. Les 14 et 15 mars, son Synode posera de nouveaux jalons de sa réforme territoriale. Les catholiques aussi cherchent à s’adapter à la réalité du terrain.

Passer de 87 à 25 ou 30 paroisses, soit plus ou moins les regrouper par trois, tel est l’objectif de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). Ambitieux? «Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de paroisses se regroupent déjà par trois pour certaines activités comme le catéchisme et même les cultes», indique Laurence Bohnenblust-Pidoux. La conseillère synodale (membre de l’exécutif, ndlr) aborde donc avec confiance la session extraordinaire du Synode qui réunira ses 87 délégués les 14 et 15 mars à Prilly pour des décisions de principe. Même si «certaines paroisses ont des craintes» quant aux changements qui pourraient advenir en 2029.
En l’état actuel du projet Eglise29, une paroisse devra couvrir un territoire représentant une certaine population – au moins 12’500 habitants en région rurale par exemple – et un certain nombre de protestants – 4200 au minimum dans une région où leur densité est faible. Sur son territoire devront être assumés les quatre domaines de la mission confiée par le canton: vie communautaire et cultuelle, formation et accompagnement, santé et solidarités, communication et dialogue. Leur prise en charge doit actuellement être garantie au niveau des onze régions, appelées à disparaître.
Réunir les forces
«Les régions sont très grandes. Celle de la Broye s’étend d’Avenches à Mézières, cela ne permet pas une vie communautaire, décrit Laurence Bohnenblust-Pidoux. A l’inverse, les paroisses actuelles sont parfois trop petites. De taille intermédiaire, les nouvelles paroisses permettront une vie de communauté et la mutualisation des forces.» Un seul conseil paroissial là où il y en a trois aujourd’hui réduira le nombre de bénévoles nécessaires, plus difficiles à trouver. Et les pasteurs se sentiront moins seuls: «Une paroisse plus grande permet de réunir une équipe ministérielle d’au moins trois équivalents plein temps, pasteurs, diacres et animateurs d’Eglise, explique la pasteure. Tout porter seul peut s’avérer lourd alors que les défis augmentent».

«L’essentiel est
que les paroisses
attirent et rayonnent»
-Laurence Bohnenblust-Pidoux
Favoriser les échanges et le travail en commun est également ce qui a motivé la création en 2021 de l’espace pastoral Ajoie-Clos du Doubs (JU) qui compte aujourd’hui six paroisses catholiques. «Au lieu d’avoir cinq équipes pastorales de deux ou trois membres, on en a une seule de seize personnes», se félicite Christophe Wermeille, responsable de l’espace. Un avantage est de ne plus multiplier les engagements à petit taux de travail dans différentes unités; un autre est de proposer les mêmes conditions aux personnes engagées; et «ça permet de ne faire les choses qu’une fois, par exemple de développer le même parcours de confirmation sur plusieurs sites».
Partout chez soi
Ce que le Jura pastoral a développé est observé avec beaucoup d’intérêt à Neuchâtel où Romuald Babey aspire également à regrouper les forces. Sur le littoral, les travaux sont en cours pour la création d’un grand espace allant des Verrières (dans le district du Val-de-Travers) au Landeron (à l’est, au bord du lac de Bienne), deux localités distantes d’une cinquantaine de kilomètres. «Les professionnels se rencontrent déjà et une coordinatrice a été engagée en vue de la création d’une seule équipe pastorale en septembre», annonce le représentant de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg pour cette région diocésaine.
Tous les prêtres seront ainsi réunis au sein d’une même équipe, y compris ceux des missions italienne et portugaise, et mobiles. «Il ne faut pas changer de prêtre tous les dimanches, mais ça fait du bien aux communautés d’en voir un autre de temps en temps.» La limite de la paroisse est dépassée dans le concept d’espace: «Les équipes pastorales se sentiront partout chez elles, et peut-être les fidèles se sentiront-ils aussi inscrits dans une communauté plus large».
«Dans notre espace pastoral, tout le monde est partout chez lui», assure Christophe Wermeille, même si certains paroissiens ne se rendent à la messe que lorsqu’elle est célébrée dans leur village. «Les lieux plus centraux accueillent une messe dominicale chaque semaine, les autres plusieurs fois par mois ou de manière plus épisodique. Mais à la Toussaint on a organisé 32 célébrations en trois jours afin que chaque cimetière ait la sienne.»
«On ne peut pas laisser tomber les petites communautés qui vivent leur foi. S’il faut diminuer le nombre de messes dominicales, on doit continuer à proposer quelque chose», confirme Romuald Babey. Il évoque des rencontres en semaine autour d’un café, la prière des laudes, une liturgie de la parole. Et «un visage dans chaque communauté, une personne à qui s’adresser», pas forcément un prêtre ou un agent pastoral. Car tout offrir partout n’est plus réaliste. «Certains lieux pourraient peut-être proposer une offre spécifique. On peut envisager de bien soigner une messe de l’Assomption dans une église qui réunirait l’ensemble des fidèles de la région. Pendant l’Avent, si vous voulez vivre une messe rorate, vous devez déjà aller à Peseux, car c’est le seul endroit qui propose une telle liturgie.»
Sans abandonner personne

En place, en cours ou à l’étude, ces réformes structurelles interrogent la mobilité des paroissiens. «Dans notre région, tout le monde se rend à Porrentruy pour ses achats, le sport et d’autres activités. C’est un centre naturel. Cette situation correspond bien aux mutations nécessaires», commente Christophe Wermeille dans le Jura.
«Pour quoi est-on prêt à bouger?», demande Laurence Bohnenblust-Pidoux. Qui constate que certains sont prêts à se déplacer parfois loin pour un match de football. Alors que «d’autres ne vont voir les matchs que dans leur village, parce que c’est la rencontre avec des personnes qu’ils connaissent qui les intéresse». L’EERV doit composer avec ces deux tendances et la réalité: «Actuellement, une paroisse du Gros-de-Vaud compte huit lieux de culte. Il est impossible de proposer un culte dominical dans chacun d’eux, il faudrait au moins quatre ministres!».
Pas question toutefois d’abandonner les fidèles réformés. Dans son projet Eglise29, l’Eglise vaudoise entend développer des «pôles», des structures légères et indépendantes des paroisses – des groupes d’activités dotés d’un comité cherchant à remplir au moins une des quatre missions confiées par l’Etat. «L’idée est qu’ils complètent la paroisse et proposent une offre spécifique», avance la responsable qui donne l’exemple de l’Eglise Martin Luther King à Lausanne. Elle pourrait devenir un pôle assurant notamment une vie communautaire et cultuelle adaptée à des fidèles appréciant le gospel. Le but n’est pas de décharger les paroisses, mais de proposer «une diversité de lieux communautaires».
Les Eglises ne veulent abandonner personne, mais devront-elles abandonner des bâtiments? «Je n’y ai pas encore réfléchi, mais un principe de réalité nous poussera à y penser lorsque le besoin de travaux se fera sentir et que les finances seront insuffisantes», répond Romuald Babey dont l’Eglise cantonale a enregistré une perte l’an dernier. Le nombre de messes donné dans une église pourrait aussi jouer un rôle, car il n’est pas possible de laisser se dégrader une réserve d’hosties et le Saint sacrement dans un tabernacle. «Peut-être faudra-t-il un jour se résoudre à désacraliser des lieux de culte.»
Dans le Jura pastoral, un groupe de travail réfléchit à la gestion des bâtiments. «Certaines paroisses ne chauffent leur église que durant une partie de l’hiver, durant laquelle on y dit la messe. Celle-ci est ensuite célébrée dans une autre église qui est chauffée à son tour durant une période», observe Christophe Wermeille. Aucune église n’a fermé à ce jour dans l’espace pastoral Ajoie-Clos du Doubs dont il est responsable.
Dans le canton de Vaud, les transformations d’églises réformées ne sont pas une nouveauté. Celle de Goillon peut par exemple servir aussi bien de lieu de culte que de salle communale. «Peut-être que des églises fermeront ou se transformeront. Le changement sera là, il faudra l’accepter», dit Laurence Bohnenblust-Pidoux pour qui la réflexion en cours est «une chance de vivifier la communauté».