Béatifié en Espagne le 12 juillet, le frère mariste Lycarion, mort en haine de la foi en 1909, n’était plus même connu dans la vallée où il est né sous le nom de François Benjamin May. Ses compatriotes bagnards vont pouvoir apprendre à connaître ce modèle de dévouement, et l’Eglise universelle avec eux.

Frère Lycarion, béatifié en juillet, est mort en martyr en 1909. CHAMPAGNAT

«Il a vécu avec dévouement et courage sa mission éducative et pastorale»: à Castel Gandolfo le 13 juillet, Léon XIV a rendu hommage à Frère Lycarion, béatifié la veille à Barcelone. Rares devaient être les participants à l’angélus à connaître ce nom, oublié même de la quasi-totalité des Bagnards jusqu’à l’annonce, en juin dernier, de sa béatification. «C’était une surprise, hormis dans quelques familles où on parlait de lui, constate Nicolas Carron, diacre permanent dans le val de Bagnes, et… arrière-petit-neveu du nouveau bienheureux. J’avais simplement entendu par mon père qu’on avait dans la famille quelqu’un qui était mort en martyr.»

Né en 1870 à La Montoz, hameau situé sur la route qui mène de Sembrancher au barrage de Mauvoisin, François Benjamin May a rejoint les frères maristes en France en 1888. «Assez jeune, il était déjà à la recherche d’une vie religieuse. Il a découvert les maristes lors de la tournée d’un frère dans sa région, et il l’a suivi», raconte Jean-Claude Christe, mariste originaire du Jura. Devenu Frère Lycarion, le jeune homme est envoyé en Catalogne où il poursuit sa formation avant d’enseigner. En 1906, il ouvre une école dans un quartier pauvre de Barcelone, Pueblo Nuevo. «Il se dévouait à l’éducation d’enfants très pauvres. Les gens aimaient beaucoup les frères. Ce sont des émeutiers venus d’ailleurs qui l’ont tué.»

Assassiné en Espagne

Ce sont les frères maristes qui ont demandé la béatification de Frère Lycarion. CHAMPAGNAT

Frère Lycarion est en quelque sorte le «protomartyr d’Espagne», poursuit le religieux suisse. D’abord liée à celle des victimes des révolutionnaires de 1936-1939, sa cause en a été détachée puisqu’il a été tué lors de la «semaine tragique» de l’été 1909. Opposés au gouvernement et anticléricaux, des protestataires tendent un piège aux maristes. Un «ami» les guide dans un guet-apens dans lequel Lycarion est mortellement blessé par balles. Avant d’être achevé par ses assassins, il a le temps de leur pardonner et de recommander son âme au Christ et à la Vierge.

«Pour aller à Pueblo Nuevo, il faut être prêt à donner sa vie», aurait dit Frère Lycarion dont l’Eglise a reconnu la mort en martyr. «Il a ensuite été enterré dans une fosse commune et ses effets personnels brûlés par les incendiaires de couvents, déplore Jean-Claude Christe. Il ne reste qu’une vingtaine de lettres comme témoignage tangible de son existence.»

Un petit trésor

Par exemple des missives adressées à son ami de jeunesse Emile Filliez. La petite-fille de ce dernier en a retrouvé quatre: «Il relate ce qu’il fait, dit qu’il faut prendre soin des pauvres, évoque son attachement à la Vierge qui est la mère de tous», décrit Mireille Maret. Comme Nicolas Carron et Jean-Claude Christe, elle s’est rendue à Barcelone pour assister à la béatification de Frère Lycarion. «Maintenant je réalise que ce sont les lettres d’un bienheureux, que c’est un petit trésor», ajoute-t-elle en signalant qu’elles devaient passer de main en main – elles contenaient aussi des salutations à transmettre.

Il ne reste du bienheureux que ses lettres, comme celle-ci, adressée à un ami. CREPA

«On n’avait peut-être pas conscience de l’importance de tout cela, mais mon grand-père puis mon oncle et ma maman ont toujours conservé ses lettres. Pour mon grand-père, son assassinat avait été un drame. Il en avait par la suite parlé à ses enfants qui nous en ont parlé», explique encore la Valaisanne qui habite à La Montoz.

Le témoignage d’Alphonse Mex est aussi resté. En 1951 devant la société d’histoire réunie au Châble, il se souvient de son oncle rencontré vers 1900, gardant de lui «l’image attachante d’un homme dans la trentaine, de taille un peu au-dessous de la moyenne, aux cheveux châtains, aux yeux bleus aux reflets malicieux, et dont la conversation avait un ton plaisant». A douze ans, il avait été impressionné: «S’il n’avait tenu qu’à moi, je l’aurais volontiers suivi au pays du Cid».

Un «coach»

Béatifié, Frère Lycarion est un modèle que les maristes s’attacheront «à faire mieux connaître des éducateurs, des frères en contact avec des enfants et des professeurs laïcs de nos établissements», promet Jean-Claude Christe. Dans le val de Bagnes, on prendra le temps cet automne de réfléchir à un moyen de le mettre en évidence dans la région. «Un bienheureux, c’est une sorte de coach qui peut nous aider à cheminer dans la vie spirituelle, image Nicolas Carron qui a officié lors de la messe de béatification. Frère Lycarion nous donne l’exemple d’une vie donnée pour les autres et d’une espérance dans une violence qu’il refusait et qui ressemble à celle qu’on voit monter dans le monde aujourd’hui.»