Comment passe-t-on Noël en milieu hospitalier? Une famille dont la fille de 3 ans a été transférée un 24 décembre de Sion aux HUG de Genève témoigne. A l’hôpital de Morges, une infirmière en pédiatrie devenue artiste en milieu hospitalier raconte durant sa visite à l’étage des enfants comment elle aborde la période des fêtes avec eux.

«Le 22 décembre, on partait à l’hôpital de Sion. Le 24, l’ambulance emmenait notre fille aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).» Gaelle et Matthieu Emery, jeunes quadras vivant dans la région de Saint-Léonard, non loin de la capitale valaisanne, gardent un souvenir particulier de Noël 2023. Tout comme leur petite dernière, la dure au mal Marion, alors âgée de 3 ans, son facétieux frère Emile, de deux ans son aîné, et Juliette, grande sœur de presque 8 ans à l’époque. «J’avais remarqué qu’il y avait quelque chose de bizarre. Marion restait affalée là, se souvient l’aînée en pointant du doigt le canapé familial des Emery. Elle était beaucoup trop calme.»
Ambulance le 24
Malade cette année-là depuis la mi-décembre, la cadette aux cheveux blonds tarde en effet à se remettre malgré les médicaments prescrits par sa pédiatre. Le 22 décembre, une radio réalisée à l’hôpital de Sion révèle un poumon méchamment nécrosé. «Notre fille est solide, mais ça s’est retourné contre elle: nous pensions qu’elle avait une petite grippe. En réalité, elle fonctionnait avec un seul poumon», témoigne son papa. Le couple qui pensait passer un ou deux jours à l’hôpital et fêter Noël à la maison a vite déchanté.



Les causes du mal n’étant pas claires, Marion est transférée aux HUG, plus à même de la soigner et si besoin de l’opérer. «Utiliser un hélicoptère était exclu, car la pression risquait d’abîmer son poumon. Comme c’était le jour de Noël et que Marion n’avait que 3 ans, les deux ambulancières ont été sympas et nous ont proposé, exceptionnellement, d’accompagner à deux notre fille», témoigne Gaelle. Son mari lance une vidéo sur son téléphone qui montre les voitures embouteillées le long du quai du Mont-Blanc, à l’entrée de Genève, s’écarter devant les sirènes retentissantes de l’ambulance.
Matthieu reste alors avec la cadette et Gaelle repart en train en Valais pour s’occuper d’Emile et Juliette durant cet étrange réveillon. «Nous étions en isolement dans une chambre individuelle où les docteurs et le personnel soignant venaient nous visiter en combinaison de cosmonaute, image le père. Son cas n’était pas encore élucidé et Marion, sous traitement antibiotique fort, était très faible. Elle n’a pratiquement rien mangé, pas même la mini bûche servie comme dessert.» Elle peut tout juste déchirer le papier étoilé enveloppant l’ordinateur de La Reine des neiges reçu pour Noël.
Toute la famille à Genève
Du 26 au 30 décembre, la famille dort dans un hôtel du bout du lac et les parents de Marion se relaient pour qu’elle ne soit jamais seule la nuit. Frères, sœurs et grands-parents se mobilisent: dans un bel élan de solidarité, chacun quitte la plaine du Rhône pour s’occuper à tour de rôle, un après-midi, une matinée, d’Emile et de Juliette lorsque ceux-ci ne sont pas à l’hôpital avec leur petite sœur.
«A Sion, rappelle Gaelle à sa fille, tu avais reçu un déguisement avec des ailes de papillon et à Genève, je me souviens que des gens extérieurs aux HUG venaient déposer des cadeaux sous le sapin de l’hôpital.» Comme le couple de Valaisans a pu le constater, tous les parents ne comptent pas sur le même soutien et les mêmes ressources permettant de rester au chevet de leur enfant. «J’entendais pleurer un gosse dont le papa, pizzaiolo, ne pouvait pas venir dormir à l’hôpital chaque nuit», raconte Matthieu. Bien que des bénévoles visitent régulièrement les petits malades moins entourés pour jouer ou parler avec eux, et malgré toute la bonne volonté du personnel, certains restent parfois seuls durant de longues heures.
«J’ai gardé l’assiette de table reçue pour Nouvel-An!», lance Marion en déclenchant un petit rire autour de la table du salon. «On dit ‘set de table’», corrige gentiment Gaelle en montrant la feuille A3 portant l’inscription «Bonne année 2024» soigneusement coloriée par Marion et recouverte d’un film plastique. L’une des nombreuses attentions reçues durant cette période délicate. «L’équipe soignante a signé ici: Claudia, Stefano, Isabelle et Nanou», relèvent les parents.
Aux soins intensifs
Le 3 janvier, Marion va mieux et les médecins décident de lui permettre de revenir à l’hôpital de Sion pour être plus proche de sa famille, mais très vite son état empire à nouveau. «Elle est repartie en urgence à Genève et a passé trois nuits aux soins intensifs. C’était un dimanche, des médecins de garde sont arrivés en civil et, trente minutes plus tard, l’opéraient pour retirer du liquide accumulé autour de son cœur», raconte le couple. La situation est alors critique: «On croyait que c’était passé, mais elle était à nouveau très faible. Elle ne mangeait plus, devait à nouveau porter des couches et ne tenait plus debout. Nous devions la déplacer en chaise roulante», relate Gaelle, émue de se remémorer ces scènes douloureuses.

En réalité, Marion a eu la malchance de contracter le virus de la grippe H1N1 lors de son retour à l’hôpital de Sion. Elle ne ressortira des HUG qu’après une quinzaine de jours. «Il a fallu un an et demi pour que son poumon se régénère complétement. Aujourd’hui, il n’y a plus de restrictions, on peut aller haut en montagne sans problème», se félicite Matthieu. «Mais l’an dernier, à Noël, on repensait sans cesse à ce qui s’était passé. Le Père Noël était tout étonné de te revoir à la maison», enchaîne Gaelle en s’adressant à sa fille.
Les souvenirs s’estompent désormais. Bien que la cadette n’ait pas oublié les prises de sang «qui faisaient très mal» et les injections qu’elle n’aimait «pas du tout». «Tant à Sion qu’à Genève, on nous a toujours traités avec bienveillance, de la chambre d’hôpital à la cafétéria», soulignent les Valaisans qui ressentent une certaine nostalgie en repensant à ce «cocon protecteur où tout était focalisé sur le rétablissement de la santé de notre fille».
La mère de famille se souvient d’un moment en particulier: le passage de deux artistes de la Fondation Théodora que ni elle ni Marion ne connaissaient jus-que-là. «Ma fille avait un peu peur, mais j’ai insisté pour qu’ils entrent. Finalement c’est moi qu’ils ont réconfortée. J’ai pleuré à chaudes larmes, cette présence incongrue, inattendue, m’a fait un bien fou à un moment où tout allait de travers.»
DAVANTAGE QU’UN DIVERTISSEMENT
Luce Golliez vit à Fribourg où elle travaille une partie de son temps comme kinésiologue et une autre comme artiste dans des hôpitaux romands. Marquée à l’issue de ses douze ans de carrière d’infirmière en pédiatrie par le «bobo» très lourd d’un enfant, cette adepte de théâtre amateur a décidé de soulager les maux de ses patients d’une autre manière. Elle devient ainsi au milieu des années 1990 l’une des premières «docteures Rêves» formées par la fondation vaudoise Théodora. Nommée ainsi en hommage à la maman d’un des deux fondateurs à qui elle rendait visite tous les jours à l’hôpital lorsqu’il était enfant, cette structure offre des moments d’évasion aux enfants hospitalisés ou en situation de handicap depuis plus de trente ans.
«Notre métier dépasse le pur divertissement, précise Luce Golliez. Il faut beaucoup de tact et de psychologie pour faire du bien. On n’aborde pas un patient en oncologie comme un autre. Chaque pathologie est différente, chaque enfant encaisse le choc de l’hospitalisation à sa manière. Nous sommes là notamment pour alléger l’administration d’un soin en détournant l’attention ou pour aider à comprendre certains actes chirurgicaux.» Durant la période des fêtes, Turlutût n’hésite pas à s’enguirlander «pour faire rire le personnel qui en a aussi bien besoin». Et porte un chapeau de lutin pour aller à la rencontre des familles bloquées à l’hôpital. «Certaines recréent l’ambiance de leur foyer en décorant les murs de la chambre de leur enfant pour célébrer ensemble Noël, ce moment magique malgré tout.»
Légèreté à Morges
Alléger le quotidien des enfants et de leurs parents, leur apporter un bref moment de répit: c’est l’un des effets recherchés par Luce Golliez, que l’on retrouve loin du Valais, à la cafétéria de l’hôpital de Morges (officiellement l’Ensemble hospitalier de la Côte), avant sa métamorphose en Turlutût. Formée et employée comme près de 80 autres artistes en Suisse par Théodora (ci-dessous), cette ancienne infirmière en pédiatrie amène depuis trente ans un peu de légèreté dans le cœur des enfants hospitalisés ou en situation de handicap des cantons de Vaud, Neuchâtel et Valais.

«Les parents des bébés prématurés s’étonnent souvent de notre visite, dit-elle en pénétrant dans la section de néonatologie vêtue de sa salopette de peintre blanche fleurie de papillons bleus, de cœurs rouges et de ballons verts. Pourtant, les nouveau-nés perçoivent de nombreuses choses.» La preuve: lorsque docteure Turlutût dégaine sa kalimba, un mini piano à pouces aux origines africaines, et joue quelques notes en direction du (tout) petit Néo, la magie opère, le bébé jusque-là très agité se fige, tend l’oreille, se calme. «Un jour, reprend Luce Golliez, je suis arrivée au moment où un couple voyait son enfant passer enfin de la couveuse au berceau. J’ai sorti ma fausse bouteille de champagne et soufflé quelques bulles pour célébrer l’évènement. La maman m’a écrit sept ans plus tard pour me dire à quel point elle avait été touchée par ce geste. On ne mesure pas toujours notre impact sur le moment.»

Bien renseignée grâce à la transmission des informations détaillées sur chaque patient par l’infirmière du jour, Turlutût lance dans la chambre suivante un mierdita! (bonjour!) au petit garçon et à ses parents d’origine albanaise. Après un cours de pêche à la ligne accéléré déclenchant des rires arrive le tour du doyen de l’étage: un jeune homme de 17 ans opéré d’un genou malmené pour la deuxième fois par le football. L’artiste lui fait le coup du ballon gonflable multiusage: «Tu peux l’utiliser comme nœud papillon, dit-elle en mimant la scène. Mais aussi comme haltère, punch-ing-ball et même repose-pouce».
Avant de nous ramener à la sortie, Luce Golliez annonce qu’elle sera à l’hôpital de Sion le 25 décembre. «Tout est fait pour que les enfants puissent sortir au moins quelques heures pour fêter Noël. Mais ça n’est pas toujours possible. Les virus sont nombreux et il y a des accidents en montagne. Nous faisons bien attention de visiter toutes les sections, même les urgences. Qu’un enfant soit hospitalisé, ça n’est pas drôle. Ça l’est d’autant moins en cette période. Cela donne plus de sens encore à notre présence.»
A BÂLE, DES CADEAUX
Comme tous les centre hospitaliers, l’Hôpital pédiatrique universitaire des deux Bâle (UKBB) fait son possible pour que chaque enfant passe Noël chez lui, entouré de ses proches, explique la directrice des soins infirmiers Caroline Stade. Par exemple en retardant un traitement ou en permettant de prolonger ou d’avancer une sortie. «Nous veillons à ce que chaque patient obligé de rester à l’UKBB reçoive un cadeau personnalisé. Cela va d’une peluche pour les plus petits à des écouteurs pour les adolescents.»
Pour la directrice, il est important que les enfants puissent «malgré tout profiter de l’ambiance des fêtes avec des décorations et des friandises. Un jour, un papa nous a dit que ce que nous avions pu offrir à son enfant dépassait ce qu’il était possible de réaliser chez lui, à la maison. Ce sont des mots qui nous touchent». Côté logistique et ressources humaines, les fêtes de fin d’année ne représentent pas une période particulière: «Nous avons une longue expérience de l’évolution du flux de patients aux urgences pendant les fêtes. Le personnel s’adapte facilement».