Professeur émérite à Cambridge, l’historien anglais David Abulafia honore comme rarement la grande tradition britannique qui connaît si bien les mers et les océans. Une somme à ranger aux côtés des écrits méditerranéens de Fernand Braudel.
«Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d’un âge sans déclin: la Mer, immense et verte comme une aube à l’orient des hommes», écrivait Saint-John Perse au commencement de son poème Amers.
Cette métaphore résume à merveille la saga de l’histoire des océans que nous offre David Abulafia, professeur émérite d’histoire à l’Université de Cambridge.
Du néolithique à nos jours, quelles civilisations et quels peuples n’ont pas été tentés de courir tous les risques pour prendre le large et souquer ferme? Conjuguant rigueur scientifique et art du récit, l’historien anglais fait découvrir ce pan planétaire de l’aventure humaine, car vaincre la mouvance et la dangerosité des océans pose bien d’autres difficultés que celles de parcourir la terre ferme.


Interconnexions maritimes
«Le présent ouvrage, dit l’auteur, s’efforce d’écrire l’histoire des trois grands océans comme un tout. Cela exige toutefois de les traiter séparément dans les milliers d’années précédant Colomb, car ils constituaient alors des sphères de mouvements humains distinctes, sans relations entre elles, bien que certains produits, en particulier les épices, aient atteint des ports de l’Atlantique médiévale depuis aussi loin que les Indes orientales en passant par la Méditerranée, une mer non océanique.» A partir de 1492, l’ouvrage met alors l’accent sur les interconnexions qui constituent la grande révolution consécutive à «la découverte» des Amériques et de la route de l’Europe à l’Asie par la pointe australe du continent africain.
Au fil de pages intenses et passionnantes, où les dangers frôlent les extrêmes, se lèvent tour à tour les personnages hors du commun qui ont surmonté l’impossible pour faire de l’exploration, du commerce, des conquêtes ou de l’esclavage: pirates et aventuriers, conquérants et marchands, religieux et lettrés, savants et rois animés de visées tantôt nobles tantôt folles. Et nous voici embarqués avec eux sur des trirèmes et des drakkars, des coques et des cogues, des boutres et des jonques, des galions et des dreadnoughts, sans oublier les gigantesques navires porte-conteneurs actuels.
Avec La Mer sans limites, et après La grande mer (Flammarion, 2024) qui traitait du Mare Nostrum méditerranéen de la guerre de Troie au tourisme de masse, David Abulafia signe une fresque inédite d’une grande valeur sur les connexions maritimes à très longue distance que les êtres humains ont su créer depuis des millénaires grâce à une audace inouïe, et dont nos différentes cultures, anciennes et récentes, ont su bénéficier non seulement pour mieux se connaître, mais pour survivre et s’enrichir mutuellement.
David Abulafia, La Mer sans limites. Une histoire humaine des océans (Belles-Lettres, 992 pages).