Le poids de la croix Spécial
On ne peut rester indifférent à la lecture des épreuves qu’ont affrontées le skieur Théo Gmür et le militant des droits humains Germain Rukuki. Handicap et harcèlement pour le premier, prison et persécution pour le second: ces deux hommes ne sont pas de ceux dont on se surprend parfois à envier le destin. Bien au contraire. Si tout humain est appelé à porter sa croix, il semble que certaines soient un peu, ou beaucoup, plus lourdes que d’autres.
Leur histoire nous renvoie inévitablement à la nôtre, et à notre propre croix. Qui ne paraît soudainement pas bien lourde. Déjà que, en y réfléchissant bien, elle ne pèse pas grand-chose à côté de celle des héros que nous côtoyons au quotidien, comme cette femme qui a élevé seule ses trois enfants, ce couple de retraités proche de la précarité et cet écolier moqué par ses camarades. Oui, notre croix est bien légère, mais on aurait tort de la dénigrer pour autant. Il n’y a ni fierté ni honte à avoir été épargné – ce que Dürrenmatt disait au sujet de la Suisse en temps de guerre vaut pour tout un chacun.
Heureusement, ce qui interpelle réellement dans les témoignages de Théo Gmür et de Germain Rukuki, ce n’est pas l’adversité ou la main humaine qui les frappe. Passée une première réaction de compassion, c’est leur résilience qui en impose. Qu’un jeune homme atteint dans sa chair, puis dans son âme par le deuil d’êtres chers, mène à bien une carrière sportive, voilà qui est admirable! Qu’un homme jeté dans une geôle aux conditions inhumaines et jugé de manière arbitraire ne perde pas courage et pardonne à ses bourreaux, voilà qui est louable!
Il serait ainsi désolant que leur exemple conduise au mépris de soi et de ses souffrances – «il en est des douleurs comme de la patrie, chacun a la sienne», selon le mot de Chateaubriand –, c’est-à-dire à baisser la tête. Il doit au contraire nous inviter à la relever et à trouver en nous, et grâce à eux, le courage et la volonté de surmonter les épreuves qui se présentent, grandes ou petites. Pour avancer avec notre croix, lourde ou légère, et, qui sait, aider les autres à porter la leur.