Trente ans de la Lanterne magique Spécial

En 2022, La Lanterne magique, le club de cinéma pour les 6-12 ans, fête ses trente ans. Trois décennies d’initiation pour former les cinéphiles de demain à travers des après-midi dans les salles obscures. Retour sur une aventure neuchâteloise qui a conquis le monde.
En Suisse, nombre de spectateurs ont découvert la magie des salles obscures et se sont forgé une première culture cinématographique grâce à La Lanterne Magique. Après 30’000 représentations et près d’un demi-million d’enfants plus tard, le plus célèbre des clubs helvétiques de cinéma fête ses trente ans d’existence avec une centaine de séances anniversaires.
Entre l’humour intemporel de Buster Keaton, le duo Laurel et Hardy et l’incontournable Charlie Chaplin, l’invitation au rêve du dessin animé Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault ou les premiers frissons d’horreur devant Nosferatu le vampire de Murnau, des générations de spectateurs ont usé les sièges des salles romandes les mercredis après-midi…
Débuts à Neuchâtel
Le projet d’inviter les enfants à vivre leurs premières émotions devant le grand écran commence par une amitié animée par une passion commune pour le cinéma: celle entre la comptable Francine Pickel, le journaliste Vincent Adatte et Frédéric Maire, l’actuel directeur de la Cinémathèque suisse à Lausanne. Le 30 septembre 1992, en compagnie du dessinateur Yves Nussbaum alias Noyau, ce quatuor crée le premier club de La Lanterne Magique à Neuchâtel.
Dès la première séance, c’est le succès: quelque 700 enfants battent le trottoir dans l’espoir d’accéder à la salle du cinéma Apollo et d’y découvrir La Ruée vers l’or de Chaplin. 200 d’entre eux sont recalés lors de cette séance à guichets fermés – sans compter les parents contrariés! Ce petit scandale, buzz avant l’heure, participe à la renommée médiatique du club de cinéphiles naissant. Le film, lui, n’a plus quitté la programmation; il continue de divertir chaque volée de spectateurs.
Deux ans plus tard, l’aventure se poursuit en Suisse alémanique, puis au Tessin avant d’essaimer dans le monde. Ce sont désormais 19 pays, de l’Allemagne au Sénégal en passant par les Philippines et le Mexique, qui perpétuent la flamme du septième art auprès des plus jeunes. En Suisse, il existe à ce jour 77 clubs.
Un rituel générationnel
La formule reste inchangée. Neuf films répartis en trois catégories – ceux qui font rire, rêver, peur ou pleurer – forment le programme de la saison. On y retrouve des films récents comme Paddington 2 et Encanto, mais aussi des classiques: Le Voleur de Bicyclette de Vittorio De Sica (1948), La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946) ou Le Voyage dans la Lune de Méliès (1902) pour n’en citer que quelques-uns.
Les longsmétrages forgent l’imaginaire d’un enfant.
L’ambition? Elle est immuable. Il s’agit de faire découvrir des longs-métrages qui forgent l’imaginaire d’un enfant. Il s’agit aussi de lever un pan de la longue histoire du septième art avec ses évolutions technologiques. L’objectif est également de rendre le cinéma abordable au plus grand nombre grâce à des tarifs imbattables à l’heure où les multiplexes augmentent drastiquement leurs prix. Comment une séance se prépare? Une dizaine de jours avant la projection, les enfants reçoivent un journal illustré qui contient des informations et des secrets de tournage sur le film. Avant la séance, des comédiens reprennent ou approfondissent certaines scènes pour offrir des clefs de lecture tandis qu’un bonimenteur interprète les intertitres des œuvres muettes. Les parents, eux, sont interdits d’accès. Cette démarche permet de développer l’autonomie: «Les enfants sont bien plus concentrés sans leurs parents», explique Vincent Adatte, un des fondateurs. Des adultes bénévoles présents tout au long du film assurent toutefois le bien-être des bambins.
La prolifération des écrans et la généralisation du streaming ne représentent-elle pas un danger? «Au contraire! Le besoin de ressentir des émotions de manière collective reste toujours aussi essentiel», assure Vincent Adatte. Toutefois, la mission du club a évolué. Elle ne se limite plus à donner le goût de la magie du cinéma. Elle stimule aussi le sens critique en offrant une éducation à l’image dans une époque où elle est omniprésente. Face au déferlement de sollicitations visuelles, des jeux vidéo aux Smartphones, le grand écran encourage plus que jamais la concentration. Et façonne une culture.
Eduquer aux émotions
Des différences avec le public d’autrefois apparaissent aussi. Alors que, il y a trente ans, une majorité de parents connaissaient les films projetés, la baisse de fréquentation des salles obscures révèle un nouveau phénomène d’éducation rétroactif assez piquant. «Désormais ce sont les enfants qui, au retour d’une séance, font découvrir à leurs parents des œuvres méconnues», s’amuse Vincent Adatte. L’éducation à l’image proposée par La Lanterne Magique continue donc de séduire, conclut le Neuchâtelois: «Des parents qui en étaient membres il y a des années inscrivent leurs enfants pour leur faire partager le plaisir de la découverte du cinéma sur grand écran».
Steven Wagner
Commémorations festives
Pendant deux mois, de fin août à fin octobre, La Lanterne Magique souffle ses trente bougies à grand renfort de projections dans les près de 80 cinémas où elle est présente en Suisse. Plus d’une centaine de séances anniversaires gratuites déroulent le tapis rouge au septième art jusqu’au 29 octobre. A cette occasion, les parents sont exceptionnellement conviés à accompagner leurs enfants et à s’émerveiller devant le grand écran dans un moment de partage familial. Le programme rend notamment hommage à Chaplin, qui donna le coup d’envoi de la première séance, en 1992 à Neuchâtel. Toutes les informations sur www.lanterne-magique.org/30 ans.
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