Les questions du journaliste Spécial
Le train est un endroit formidable – du moins quand la rumeur des voyageurs n’est pas assommante – et assez représentatif du monde dans lequel nous vivons – y compris quand la rumeur des voyageurs est assommante. «Ils sont tous sur leur téléphone», commentait l’autre jour une dame d’un certain âge occupée, elle, par le grand écran qu’est la fenêtre. Ce n’était pas tout à fait vrai: un homme lisait. Gérer son temps, était-il inscrit sur la couverture. Préoccupation on ne peut plus actuelle.
Des livres, on en voit encore entre les mains des pendulaires qui lâchent parfois un sourire lorsque la musique diffusée dans leurs écouteurs ne les empêche pas de croiser un regard. De plus en plus, le matin, les yeux sont baissés sur un écran diffusant une série, souvent sous-titrée. Il ne se trouve en revanche plus grand monde pour faire frémir le papier d’un journal avant de le laisser sur son siège ou la tablette (pas numérique cette fois) en quittant la voiture.
Le journaliste sait pourquoi il écrit, jamais pourquoi on ne le lit pas.
Cet abandon – ou ce partage – ne fera bientôt plus le bonheur d’un autre voyageur. Parce que plus personne ne lira les journaux, peut-être. Mais peut-être n’y aura-t-il plus personne pour les écrire avant qu’il n’y ait plus personne pour les lire, au vu du rythme auquel certains groupes de presse suppriment des postes. Faire mieux avec moins: vieux rêve, douce illusion. Qui peut sérieusement espérer relancer ses affaires en se privant peu à peu des moyens (humains) de proposer un produit de qualité?
Drôle de monde que celui de la presse. On voudrait être bon libéral et se dire que, si un journal ne rencontre plus son public, adieu Volodia! Mais ça ne marche pas tout à fait ainsi. Pour preuve: il se trouvera toujours des gens pour défendre un journal, même parmi ceux qui ne le lisent pas, même parmi ceux qui le lisent sans y être abonnés (le lecteur fait vivre les journalistes, l’abonné les fait manger, merci à tous les deux!). Il y a de quoi être déboussolé: que proposer, à qui, quand et comment? Le journaliste sait pourquoi il écrit, pas toujours pour qui, croit savoir pourquoi on le lit, mais ne sait jamais pourquoi on ne le lit pas. Et vous, le savez-vous?
Articles en relation

IA: soutenir ou remplacer?
«L’intelligence artificielle (IA) peut remplacer les journalistes»: ce n’est ni un milliardaire américain chantre des nouvelles technologies qui l’a annoncé ni un chef d’Etat rêvant d’en finir avec une presse trop critique, mais le patron de l’empire médiatique allemand Axel Springer – 18’000 employés dans le monde, dont 3400 journalistes. Le 28 février, Mathias Döpfner, également impliqué en Suisse par la joint-venture Ringier Axel Springer (groupe Blick et L’illustré notamment) a expliqué que des suppressions d’emplois chez le tabloïd Bild et le généraliste Die Welt auraient lieu prochainement, car l’IA peut «se charger de la mise en page, de la correction et de l’administration». Et même de la création «automatisée» de certains articles définis comme des «sous-produits» (résultats sportifs, bilans d’entreprise, etc.). Ainsi, assure Mathias Döpfner, la branche pourra se concentrer sur les «reportages, scoops et éditoriaux».
Bon pour la presse?
De quoi satisfaire les journalistes et photographes de presse qui depuis longtemps réclament davantage de temps et de moyens pour se rendre sur le terrain afin de cerner les préoccupations des citoyens et les phénomènes de société? Une partie de la profession en doute, en particulier lorsque l’idée est soutenue par des entreprises comme TX Group (anciennement Tamedia) dont les restructurations à répétition ont conduit à saigner les rédactions de nombreux titres romands. Et dont les activités les plus rentables, non liées au travail rédactionnel, ne soutiennent pas ou peu les journaux en difficulté. «L’IA va révolutionner le journalisme et l’industrie des médias en soutenant – ou remplaçant – le journalisme», affirme Mathias Döpfner. Soutenir ou remplacer, là est la question.

Reporters en guerre
Selon le rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF), l’Amérique latine est la région la plus létale pour les journalistes. Les Etats «en paix», comme le Mexique, sont devenus plus dangereux que ceux en guerre.

Un regard tendre sur un monde imparfait
Elle sait poser un œil lucide sur les incohérences de notre temps et des hommes avec subtilité, douceur et poésie: Angélique Eggenschwiler est l’une des plumes de la dernière page de La Liberté.