Ecrans: encadrer sans s’alarmer Spécial
Ordinateur, Smartphone, télévision: enfants et adolescents passent un temps croissant devant les écrans. Nécessité ou calamité? Invités par l’Université de Genève, trois chercheurs ouvrent des pistes pour bien vivre avec ces appareils.
Prise de poids, maux de dos, problèmes oculaires, troubles du langage et du comportement: les écrans sont potentiellement néfastes pour la santé. Or les 12-19 ans passent en moyenne entre trois et cinq heures par jour sur internet, selon l’étude suisse JAMES 2022. Mais que font les parents? Eh bien, comme presque tous les adultes, ils recourent à leurs Smartphone, tablette, ordinateur et télévision de manière quotidienne. Jusqu’à 300 fois par jour, selon certaines études.
Enfants et adolescents ne peuvent guère échapper à ce nouveau monde ultra digitalisé. Pire: s’ils en sont exclus, ils risquent de rencontrer des difficultés, sociales notamment. Dès lors, comment les accompagner pouqu’ils puissent grandir en respectant leurs besoins développementaux et en expérimentant les outils numériques? Pour faire un point sur la question, le Bureau de la transformation numérique de l’Université de Genève (UNIGE) a organisé début mars une conférence intitulée «Exposition aux écrans: quel impact sur le neurodéveloppement?» avec le célèbre psychiatre français Serge Tisseron, la psychologue Mireille Bétrancourt et le clinicien Radek Ptak. Bonne nouvelle: s’il s’agit d’être vigilant, il ne faut pas pour autant s’alarmer.
Déficit d’attention
«Les études nous invitent à nuancer, a indiqué en préambule Yaniv Benhamou, professeur à la Faculté de droit de l’UNIGE. Plutôt que de parler de temps d’écran et du nombre de fois où l’on consulte un appareil, il faudrait distinguer selon le type d’activité.» Divertissement ou apprentissage? Jeux passifs ou interactifs?
«Il faut se méfier de la pensée magique qui stipulerait qu’avoir un écran est forcément positif ou forcément négatif», ajoute Mireille Bétrancourt, qui dirige depuis vingt ans l’unité de recherche en technologies éducatives de l’Université de Genève. Il est vrai que les études menées dans les années 2010 ont révélé des liens entre le temps d’écran et les troubles du développement chez les enfants jusqu’à 6 ans (difficultés ou retard dans l’identification des mimiques, l’empathie émotionnelle, la motricité, etc.). «S’agit-il de corrélation ou de causalité?», interroge Serge Tisseron, professeur à l’Université Paris Cité. Autrement dit: ces troubles apparaissent-ils parce que le temps dédié à l’écran se fait au détriment d’activités indispensables au développement de l’enfant ou pour une raison supérieure? De récents travaux démontrent que pour un temps d’écran équivalent, les troubles précités diminuent à mesure que l’enfant a accès à des jouets et à des équipements extérieurs. Et s’il peut compter sur des personnes disponibles pour lui.
Car les parents et les accompagnants qui partagent leur attention entre leur Smartphone et l’enfant font des phrases plus courtes et des mimiques plus pauvres. De plus, ils augmentent le risque d’accident parce qu’ils sont moins attentifs et parce que l’enfant peut prendre des risques inconsidérés pour se faire remarquer. «La technoférence est considérée aujourd’hui comme aussi importante que le temps que l’enfant passe devant les écrans», assure le concepteur des repères «3-6-9-12».
Boucle d’Or
Et les adolescents? Ils sont, constatent les chercheurs, plus ouverts, plus libres, mais aussi plus déprimés qu’auparavant. Ce sentiment d’abattement est-il dû à une utilisation accrue des écrans ou à un phénomène plus global qui entraîne l’un et l’autre? Pour répondre à cette question, Serge Tisseron cite une étude de l’UNICEF publiée en 2017 qui conclut que, statistiquement, les jeunes font un bon usage de leur Smartphone, à la manière de la Boucle d’Or du conte, c’est-à-dire en ne prenant que ce qui leur est adapté.
En outre, si l’on pensait auparavant qu’un temps d’écran trop élevé engendrait des troubles de l’appétit et du comportement, les chercheurs estiment désormais que c’est surtout le manque de sommeil qui provoque ces problèmes. Pour passer une bonne nuit, il ne faut pas dormir avec son téléphone et éviter les écrans et les lumières fortes avant d’aller au lit afin de favoriser la sécrétion de mélatonine.
Enfin, l’usage du numérique peut être bénéfique. C’est le cas lorsqu’il vise un apprentissage. «D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de travailler, l’attirance pour l’écran se réduit», constate en souriant Radek Ptak, qui admet que les jeux vidéo peuvent, dans une moindre mesure, améliorer l’attention, la réactivité et la tacticité. Quant aux conversations par messagerie ou aux jeux en réseau, ils permettraient de renforcer les amitiés existantes et de lutter contre le sentiment de solitude, à condition toutefois qu’ils complètent de réels échanges.
Des dangers existent
Au-delà de ces relatives bonnes nouvelles, les risques liés à internet existent. Ils menacent particulièrement l’adolescent en raison de son hypersensibilité socio-émotionnelle ainsi que les enfants en situation de fragilité. En cherchant à renforcer leur estime de soi, ils peuvent aller trop loin: harcèlement, quête obsessionnelle de notoriété, exposition à des contenus problématiques, dépendance aux jeux vidéo, au streaming, aux cyber-relations, aux jeux de hasard, à la pornographie et à la recherche abusive d’informations, … Radek Ptak indique que ce type de dépendance, qui s’observe par neuro-imagerie sur les zones touchées par le circuit de la récompense, peut altérer tant les comportements que les capacités cognitives. Le clinicien fustige particulièrement les jeux de rôle en ligne tels que World of Warcraft qui poussent à des usages supérieurs à vingt heures par semaine.
Les parents sont enjoints à limiter le temps d’écran et à dialoguer sur les contenus. «L’enjeu est de développer les compétences numériques à l’école pour que les enfants puissent acquérir des usages épistémiques et responsables», précise Mireille Bétrancourt en soulignant que les familles ont aussi besoin d’être accompagnées. «Si vous voulez éviter que votre enfant cherche des gratifications en ligne, récompensez-le dans la vraie vie», suggère Serge Tisseron.
Caroline Briner
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