Edito: Le silence clérical

En 2016 déjà, l’Echo avait donné la parole à Philippe Lefebvre, dominicain et professeur à l’Université de Fribourg. Il avait témoigné de son combat pour que la lumière soit faite sur Tony Anatrella, prêtre et psychanalyste du diocèse de Paris, soupçonné d’abus sexuels dans sa pratique thérapeutique. Si j’en reparle aujourd’hui, ce n’est pas pour le plaisir. Ces affaires sont pesantes et on s’en passerait volontiers. Mais un fait nouveau est survenu: début juillet, le nouvel archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, a sanctionné le Père Anatrella: il est privé de ministère et doit renoncer à sa pratique médicale. Certes, ce n’est qu’une «réprimande» et aucun dédommagement n’a été prévu pour les victimes. Mais le coup est rude pour cette star du monde catholique, engagé en première ligne dans la lutte contre le mariage gay, auteur de nombreux livres sur les éternels adolescents produits par une société permissive. Mgr Anatrella ayant fait recours, l’affaire n’est pas close. Et l’Echo n’a pas à porter de jugement. Mais l’interview que nous donne Philippe Lefebvre (en pages 32-34) va au-delà de ce cas.
Vingt ans pour qu’un évêque ose s’attaquer à Mgr Anatrella.
Car il a fallu vingt ans pour qu’un évêque ose s’attaquer à Mgr Anatrella. Pendant vingt ans, de nombreuses sonnettes d’alarme ont été tirées, mais il était intouchable. Philippe Lefebvre parle d’«omerta organisée», et certains faits laissent bouche bée, comme des lettres adressées à un évêque et retournées à l’expéditeur sans avoir été ouvertes. Cela relève de la faute professionnelle.
On pense au Chili, où des affaires encore plus graves ont provoqué la démission de tous les évêques à mimai. Suite à ces événements, le pape a publié une Lettre aux catholiques chiliens qui reconnaît que «l’un de nos principaux défauts est de ne pas savoir écouter les victimes». Lui aussi dénonce «une culture de l’abus» et «un système de camouflage». Il faudrait tout citer, en particulier sa critique du cléricalisme qui tient le peuple de Dieu à l’écart, mais je m’arrête sur le remède proposé: «Il est donc urgent de créer des espaces où la culture de l’abus et de la dissimulation ne soit pas le schéma dominant; où une attitude critique et interrogative ne soit pas assimilée à la trahison». Il faut promouvoir, dit François, «des instances de dialogue et de confrontation constructive»*. Le refus de voir, d’écouter, de parler existe partout. Pour le combattre, comme l’a fait Philippe Lefebvre, il faut beaucoup de courage et de persévérance. Il faut, pour paraphraser Anatrella, devenir des adultes.
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